
voyant si attentif à le regarder, me vint en aide et nie
déclara sans vergogne, comme un homme sûr de
l'impunité, qu’il faisait partie des scélérats qui m'avaient
attaqué deux mois auparavant sur la route de
Karakàne. 11 s’étendit longuement sur cette affaire
et me reprocha la résistance que je leur avais opposée
:
«—À quoi vous servait,me dit-il, de nous refuser vos
« dépouilles, à nous autres, pauvres diables, qui, les
« trois quarts du temps, n’avons pas de pain à man-
« ger; tandis qu’un mois plus tard vous étiez obligé
« de les donner au Serdar dont les besoins sont bien
« moindres que les nôtres. Il ne vous en sait aucun
« gré, au lieu que moi, qui vous escorte aujourd’hui
« par devoir seulement, je me serais empressé de le
« faire par reconnaissance ; c’eut été beaucoup
« mieux. » Il se consola en disant : « Dieu est grand
« (Khouda té'ala)\ Dieu est miséricordieux (Khouda-
« Kerim) ! »
Après avoir cheminé pendant quatre heures, nous
traversâmes la rivière Khachek-Roud, qui sert de
limite entre le Kandahar et le Hérat: puis, après avoir
encore marché durant trois heures, nous campâmes
au milieu d’un steppe désert, en vue de Kouhi-
Duzd (montagne du voleur), où il n’y avait pas une
goutte d’eau; heureusement nous en avions apporté
deux outres pleines avec nous. Nous en donnâmes la
plus grande partie aux chevaux, ne réservant que ce
qui nous était strictement nécessaire. Nous dévorâmes
ensuite une petite ration d’un pain sec et noir, très-peu
substantiel après une course aussi fatigante; mais le
sommeil qui me gagna bientôt fit taire les tiraille-,
ments d’estomac que je ressentais.
IJadji-Hibrahimi et Tcliâh-Guèz.—4 octobre.—Au
point du jour nous vîmes de nombreux troupeaux de
djérànes (antilopes), auxquels les Sipahis donnèrent
vainement la chasse ; ils ne réussirent qu’à exténuer
leurs chevaux déjà épuisés par une mauvaise nourriture
et des travaux pénibles. Pour se dédommager de
leur peine, ils s’emparèrent d’une chèvre et d’un
mouton dans le premier troupeau que nous rencontrâmes.
Étonné de cette spoliation, et voyant le berger
complimenter les voleurs et faire des voeux pour
eux au lieu de se plaindre, je demandai l’explication
de ce contre-sens à Mirza-Khan : «— Ceci est l’usage
« afghan (in kiar afghan est), me dit-il; quand nous
« trouvons un troupeau sur notre route, nous en
« agissons toujours de la sorte. C’est notre droit. »
a — Mais de qui tenez-vous ce droit ? »
Sa réponse fut celle du loup à l’agneau de la
fable.
« _ Agiriez-vous ainsi sous les murs de Kandahar
a ou de Hérat? » ajoutai-je.
« — Là, me dit-il, il y a des autorités et ce serait
(f dangereux ; mais leur pouvoir ne s’étend pas dans
« les steppes, où le Sipahi est roi. Quant à ces malo-
« trus de bergers, ne pensez pas qu’ils se donnent
a la peine d’aller à Kandahar pour se plaindre d’un
« emprunt qu’on lèur fait trente ou quarante fois par
« an à chacun. La course coûterait plus que le prix
« de la bête; et puis, si l’un d’eux se plaignait une
« fois, on l’assommèrait à la première rencontre et