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V O Y A G E P I T T O R E S Q U E
ville d’Alaniéc. Nous n’y trouvâmes qu'un très-petit bateau ; 1 excessive
chaleur, dont je n’avois aucun moyen de garantir les malades, empira
leur état; ct ils auroient probablement succombé, si nous avions eu une
plus longue traversée.
Le lendemain, nous arrivâmes à la ville dc Mitvlènc. Il n’y avoit pas
daas toute l’île un grain d’éméliquc, mais les malades y trouvi'icnt du
repos, delà fraîcheur, et, lorsqu'ils furent un peu moins mal, un racillcur
bâtimcnt pour sc rendre à Smyrne. Apres m’ètrc assuré des soins qui
leur seroicnt donnes dans cette ville où abondent tous les secours, je
repartis avec farcbitcctc Fouclierot, qui seul a constammciiL soutenu
les fatigues de mon premier voyage en Grèce, ct n’a jamais été oljligé de
se séparer de moi. Nous étions alors dans la saison où les vents dn nord-
est sont presque habituels: je préférai un bateau très-léger qui pût
vaincre plus facilement leur résistance, et aller, lorsqu’il le faudroit, à
la rame le long des côtes.
Nous passâmes devant Phoeée, cette antique métropole de Marseille :
les gens du pavs la nomment Phokia-Nova, par opposition à nue autre
ville du môme nom, fondée sous le Bas-Empire, à quelque distance
de là, ct qu’ils appellent Phokia- Veccbia : celle-ci est, en effet, pour
eux la plus ancienne des deux ; mais la première a pour nous 1 avantage
d’avoir été construite sur les ruines même de la vérilaldc Pliocéc.
On y retrouve encore les fondemens de ses murailles, et quelques
restes de scs monumens, qui ne permettent aucuns doutes sur cette
position.
Phocée a aujourd'hui quatre mille habitans turcs ou grecs : une foiblc
garnison occupe le château qui domine la ville et son superbe port, où
des flottes entières peuvent mouiller en sûreté. Placé près de la pointe
la plus avancée de l’Éolide, en face de la presqu’île dc Clazomcne, ce
port est sans cesse fréquenté par les navires et les bateaux de toute espèce,
qui parcourent les parages voisins, ct entrent dans le golfe de Smyrne.
Titc-Live en donne une description assez détaillée, et que coiilirmo
l’aspcct des lieux (i) .
Après avoir traversé le golfe de Sandarli, où les vents du nord nous
cmpccbcrent dc pénétrer, nous doublâmes le cap Ægan ou Cana,
(i) Tit. Liv. Lib. XXXVII, cap. 3 r.
sur lequel ctoit une colonie dc Locriens , el nous mouillâmes au milieu
des Arginuses, parage célèbre par la victoire qu’y remporta la flotte
d’Atlièncs sur celle dc Sparte; plus célèbre par f ingratitude dc ce
peuple, qui, dans un dc ses frcqucns accès de cruauté, condamna ses
généraux victorieux, ct envoya au supplice ceux auxquels il dcvoit des
couronnes (i) .
Ces souvenirs sont les seuls motifs d’intérêt que puissent offrir les
Arginuses; nous en repartîmes bientôt, ct nous passâmes devant Aiarnéc,
où, quelques jours auparavant, je m’cLois embarqué, sous de si pénibles
auspices, avec mes compagnons malades. Alarnée, colonie éoliennc,
avoil subi le sort de toute la province conquise par Cyrus, lorsqu’un
Lydien nommé Pactyas, auquel il avoit confié ses trésors, avec ordre
de Jcs transporter en Perse, sc révolta, leva des troupes, et osa même
tenter le siège de Sardes. Cyrus fit marcher des forces contre ce rebelle,
qui, n’osant résister, s’enfuit à Cyme. Le général qui le poursuivoit,
somma les habitans de le lui livrer; ceux-ci, malgré le danger qui les
mcnacoit, malgré l’évidence d’un crime qui pouvoit leur servir d'excuse,
refusèrent courageusement de violer les droits sacrés du malheur. Ils
conduisirent le coupable à Mitylène, d’où on le fît passer à Chios : là,
le fugitif se réfugia dans le temple de Minerve Polioucbos ; mais les
lâches habitans de Chios l'arraclièrent de cet asyle, et le livrèrent,
sous la condition que la Perse leur ccdcroit la propriété du canton
d’Alarnée (2). Toute la Grèce fut indignée de cette perfidie; ct longtemps
on refusa d’employer au service des temples les productions de
ces domaines, salaires de la plus odieuse lâcheté : ce scrupule a deux
mille ans dc date.
Alarnée devint ensuite plus considérable, et fit partie des possessions
de l’eunuque Hermias, qui avoil été d'abord esclave d’Eubule. Celui-ci
étoit parvenu au pouvoir suprême daus les villes d’Atarnée, de Pitane
et d’Assos ; trouvant à son esclave d’heureuses dispositions, il l’avoit
envoyé achever son éducation en Grèce. Ilcrmias y avoit suivi les leçons
d’Arislole, et inspiré fintérêt le plus v if â cc philosophe. Revenu auprès
dc son maître, il partagea quelques années sa fortune, et même son
pouvoir. Pour prix dc tant de bienfaits, Ilcrmias f assassina, si l’on en croit
( 0 Diod. Sic- Lib. X lir , % i (2} ilPi'odot. Lib. I, cap. i 54 - iGo.
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