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6 V O Y A G E P I T T O R E S Q U E
à l’invention de l’astrolabe , entrevit le premier l’iitilitc de la boussole,
fit instruire et forma sous ses yeux les pilotes qui découvrirent I île de
Madère , et prépara ainsi les grandes entreprises maritimes qui illustrèrent
la fin du quinzième siècle. Cependant long-temps encore les progrès
de la géographie furent loin d'en égaler les conquêtes. Les naviga-
teurs guerriers ou marchands , cuflanimés par ces premiers succès , se
montroient plus jaloux, ct trouvoicnt aussi plus facile, d'euvahir dc nouvelles
contrées , que d’éclairer pour leurs successeurs les routes qu’ils
venoicnt de parcourir. Les découvertes astronomiques étoient d’ailleurs
retardées par l’imperfection des iiistrumens. Les plus habiles marins se
hornoient à indiquer les principaux mouillages , .à prendre des latitudes
le plus souvent avec négligence, et à conjecturer plutôt qua déterminer
quelques longitudes , dans f impuissance où ils étoient de les obtenir
par des observations exactes et multipliées. Jusqu’au moment où Cassmi
parvint à soumettre au calcul les mouvemens des satellites de Jupiter , on
sait en effet qu'oii ifavoit, pour fixer les longitudes, que dos phcno-
mènes célestes trop rares , dès-lors insulfisans , ct que peu de navigateurs
étoient en état et en position dc bien observer. Ainsi, 1 audace tenoit lieu
de la science; et dès-lors on ne doit pas trop s'étonner que , pendant
long-temps, on n’ait pas su tracer avec certitude la position ct les limites
de ces mers nouvelles ip e fon traversoit presqu’au hasard, et de ces régions
lointaines que fon étoit d’ailleurs plus avide de conquérir que de connoître.
Mais malgré cet état tfimperfection des connoissanccs humaines , il
est pourtant permis d’être surpris qu’on ne connût guère mieux une
mer placée en quelque sorte sous les yeux des géographes ; une mer dont
tous les rivages ont été le théâtre des événcmens les plus célèbres ; qui
fut, il y a huit siècles , traversée si fréquemment par les innombrables
armées que précipitoit sur les côtes d’Asie, l’Europe alors pieusement guerrière;
une mer enfin qui, depuis aoo ans sur-tout, est sans cesse couverte
dos navires dc toutes les nations européennes, empressées à saisir quelques
branches du commerce utile qu’encourage l’inertie des maîtres actuels de
l’empire d'Orient.
Les cartes géographiques des anciens , sur lesquelles cette mer devoit
occuper une si grande place , ou n’existent plus, ou , comme celles de
Ptolemée, nous sont parvenues très-imparfaites par de successives et
inévitables altérations. On a réussi toutefois à les recomposer avec
D E L A G R È C E . 7
beaucoupde vraisemblance d’après cc qui nous reste des graiidsgcographes
dc rantiquitd , soit dans leurs ouvrages, soit même dans les écrits de
ceux qui ne les ont cités que pour les combattre. C’est ainsi qu’à Taide
dc Strabon , de Pline et de Plolcmée , on a pu , non-seulement construire
dos cartes conformes aux systèmes dc ces auteurs , mais aussi
celles d’Eratosthènc , dllipparquc , do Polyhe , de Marin de T y r , dont
les ouvrages sont perdus. Ces cartes ainsi rétablies nous montrent les
premiers tâtonncmens des Grecs , l’enfance de leur géographie. C’est
uu spectacle digne d’intérêt que ces efforts de quelques liommes supérieurs
luttant contre les fausses idées de leur siècle , et faisant une application
nouvelle des connoissanccs acquises en astronomie, pour parvenir
à connoître la forme dc la terre. Jusqu’alors cc navoit été que sur de
simples relations de voyageurs, et d’après des évaluaüons presque toujours
erronées de mesures itinéraires, que l’on avoit essayé de tracer des cartes ;
et loin de penser que cc fut dans le ciel qu’il fallût chercher ia description
dc la terre, on sentoit à peine qu’on eût besoin d’opérations géométriques.
Plus d’un siècle avant l’ère chrétienne, Hipparquc avoit jeté les foiide-
mens delà géographie astronomique, el ouvert la carrière que parcoururent
ensuite Strabon et Ptolemée. La réputation dont a joui Ptolemée, regardé
comme le restaurateur, ou même comme le législateur de la géographie,
surpasse dc beaucoup son mérite réel ; car souvent, et particulièrement sur
la mesure de la Méditerranée , il s’est trompé encore plus ({ue scs prédécesseurs
qu’il prétendoit réformer : ct s’il est parvenu à effacer la gloire d’IIip-
parque , ce n’a été qu’en faisant revivre la méthode de ce dernier qui avoit
été négligée après sa mort. Ce n’est pas la seule fois que le génie s’est
ainsi vu ravir la gloire qui lui appartcnoit, et que lllistoire elle-même
s’est rendue complice dc cette usurpation : mais on sc plaît à voir qu’il
arrive une époque dc vérité où ebaque n'putalion rentre dans ses droits
ou dans scs limites ; et l’on applaudit au critique éclairé q u i, fût-ce après
vingt siècles , vient exercer cette suprême justice. C’est ainsi que les savans
ouvrages dc M. Gosscllin nous font connoître aujourd'hui tout le génie •
d’Hipparque, et les erreurs oulcs progrès des anciens géographes , dont il
apprécie les travaux avec une rare sagacité.
11 ne paroît pas que, dans l’antiquité, aucun astronome ait navigué avec
le projet de rédiger des cartes marines , ni que des souverains aient l'ail
voyager des savans dans l’intention de perfectionner la gcograplûe. Les