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Autrefois, die le mcme Ricauc, un Patriarche de Conftaiirinople ncpayoic
que dix mille ecus pour être iiiftallc: de Ton tems il Eilloit en payer vingtcinq
mille. Un certain Adianafe Métropolitain de TlieHaloniquc donna foifïànte
mille ecus pour occuper cette place, d'où les deux Cyrifles, Lucar &
Concari avoient été chafles l'un après l'autre. Outre ce Droit fl onereux, les
MiniOires en exigent fi fréquemment d'autres, que le Patriarche toujours endeté
cherche fans cefle de nouveaux moyens pour fatisfàire à l'avarice de (es
créanciers. S'il paye mal il ell bientôt depofe. Telles font les caufes qui dilpofent
aux fréquentes révolutions qu'on voit arriver dans l'Eglile Grecque , £c
qui foutiennent l'injufte autorité que les Turcs ont ufurpée dans les éledions
du Cler[^é.
„ Les dettes de l'Eglife nous dit encore Ricaut (a) s'accumulent & vont
„ tous les jours en augmentant (è) à quoi il faut joindre l'intérêt,
3, qui va toujours fort haut. Et comme les Turcs ont accoutumé de preCj
, fer extrêmement ceux à qu'ils prêtent , le Patriarche eft obligé de convo-
3, quer de tems en rems fes Archevêques &c fes Evcques, pour délibérer avec
, , eux des moyens de {àcisfàire une partie des Créanciers. Mais ces det-
„ tes ne font pas payées, que l'on demande de nouvelles fommes au Patriarche
Lors que Bute de payement & par une luite des brigues,{à dépofition
eft réfolue, on s'afTure de fâ perfonne & l'on faifit fes biens pour acquitter
une partie (c) des dettes de l'Eglife & payer ce que le nouveau Patriarche
doit pour fon inftallation. C'eft ainfi que pour le maintenir dans quelque
tranquillité au milieu de ces dettes éternelles, il eft obligé de mettre des
taxes & des impôts fur les fidelles de fon Eglife , ôc de vendre les Dignités;
même d'employer des moyens encore plus odieux, lors que fön inclination le
porte à l'avarice & à l'injuftice.
J'ajoute encore ceci à ce que j'ai dit déjà dit de l'origine du tribut que les
Patriarches de Conftantinople doivent payer à leur avenement au Patriarchat.
Ce tribut s'appelle Pefeos, ou Peskeft, mot que les Grecs modernes ont forge
fur celui de Fi feus-, mais, felon quelques Auteurs, il eft dérive de l'Arabe Pesk,
GUI fjgnifie préient. Nos François ont converti le mots de Peskieß en celui
de Pêcherie. Ce Pesk revient en partie à notre Regale.
Deux chofès refultent du détail que je viens de donner touchant le Patriarche:
la premiere, que les revenus (ont fort incertains & plus ou moins grans,
(èlon qu'il cft plus ou moins prelle des Turcs, & plus ou moins honnête
homme. L'autre, que dans là fortune chancelante , il épuilê ordinairement
tous fes revenus pour fe maintenir. On les fait monter à peu près à quarante
mille ecus par an. Voici d'où proviennent ces revenus, (d) Des que le Patriarch)
Un i«?72.
0 ) Voici une particularité-fort remarquable fur cet article. Lorfque Methodius fut dépof^ par les
cabales de Parthenius en l'année 1 6 7 c . il trouva le fiege endette- de plus de trois cent mille écu5. Il
en acquitta deux cent mille dans trois années de Pontificat, c'eft-à-dirc de 1 6 5 7 . à HÎ70. Parclunius
fon fuccefTeur fut obligé de donner cent milk écus au Grand Seigneur & à fes Minières : les brigues
qu'il y eut lui en coûtèrent cent mille autres. Ainfi fon éleilion coûta deux cent mille ecus dont l'ILglife
refta refponfable, outre les cent mille écus que Methodius ne put acquitter & les intérêts exceilifs
de ce Capital. Voyez Bibl. Criti,^. Tom. I. chap. Le P. Simon ajoute , „ que le Patriarche en
„ ces occafions emprunte en payant d'intérêt j u f q u ' à qunraute & cinquante pour cent, de peur de man-
„ qucr fon coup. Quand les T u r c s , qni font ce trafiq, fe voyenc rembourfés de leur argent, ils vonc
„ folliciter un autre Métropolitain, Se lui en offrent au même prix.
(c) On vient de voir que, fuivanr îe rapport du P. Simon , les dette-; de l'Eglife de Conüantinople
alloienten 1 6 7 0 . à trois cent miOe écus. Selon R i c a u t , en iC-jz. elles le montoient à troii cent cinquante
mille.
(d) Le P. Simon Bil>lioth. Critique Tom. L chap. î}.
R E L I G I O N DES GRECS. 77
triarche cft clii, il vend au plus offrant les Evcchés & les autres Benefices vacans.
Outre cela les Evêchcs, les Cures & les Monatleres de fa Jurifdiâion
lui Ibnr redevables d'une certaine fommc annuelle. Chacjue l'rctrc de Conf^
tantinople lui paye par an {a) un ecu. A l'exemple du Patriarche, les Evêqucs
font acheter les Ordres à ceux qu'ils ordonnent Prêtres, & les Cures
vendent les Sacremens au peuple. On lui fait au(lip.iycr l'eau bénite, le pain
bénit, & les places dans les Eglifes. Plufieurs Evcchés rendent mille écus d'impôt
chaque année, & les Monafteres rendent à proportion, [h) Les Evcques
de la dépendance du Patriarche, y compris leurs Métropolitains, font au nombre
d'environ cent cinquante, (c) Tous ceux qui fent ordonnes par lui Diacres
ou Prêtres dans Coliftandnople lui font un petit préfent. Ceux qu'il facte Evcques
& Archevêques lui en font à proportion de leur rang. Je ne dis rien U ) du
Charatch que le Clergé lui remet, parce que ce tribut pafi'e fimplement par
fes mains pour aller au thréfbr du Grand Seigneur. Chaque mariage qui fc
fait à Confliantinoplc ou dans la jurisdiction de cette Ville, lui doit un écu.
Ce droit eft fort confiderable, à caufe du grand nombre de Grecs qui viennent
s'établir à Conftantinople. Cette contribution double au fécond mariage Si
triple au troifième & dernier , l'Eglife Grecque ne permettant pas les quatrièmes
Noces.
Les heritages font aulTi une des principales-branches des revenus de ce Patriarche.
(e) Ce qui efl laiffé par un Prêtre mourant fans enfans lui appartient
comme au Pere Se à l'heritier commun. Les riches Grecs lui laiffent après
leur mort des chams, des maifons, ou de l'argent. Je ne dois pas oublier,
que tous les trois ans,(/) il leve (g) douze .deniers par tête dans chaque Paroiflè
de fon Patriarchal, ni la quête que l'on fait pour lui pendant le Carême dans les
Eglifes de Conftantinople & de Galata. Enfin le Czar de Mofcovie lui fait
un don gratuit comme une marque de fes égars Se du refpeft qu'il a pour lui.
D'autre côté les Grecs ont une eilime particulière pour la Nation Ruffienne,
à cS^fe de quelques prophéties qui difent que les RufTiens délivreront un jour
les Grecs de l'oprefîion des Turcs.
Toutes ces levées d'argent formeroient des revenus beaucoup plus confiderables,
fi elles ne paflbient par plufieurs différentes mains. Quelques Relations
difent fimplement que des Curés font établis pour recueillir les droits Patriarchaux,
qu'cnfuite ils en rendent compte aux Métropolitains, & que les Métropolitains
les remettent aux Patriarches : mais ce que rapporte le P. Simon eft
plus exaft Se plus curieux. Voici fes propres paroles. „ (h) Le Patriarche
„ n'a pas le maniement des deniers. . . . Un Synode de Métropolitains & de
„ quelques anciens du peuple, qui ont charge dans le Patriarchat reglent avec
„ le Patriarche les impôts qui fe mettent fur les Benefices, & les reçoivent en-
„ fuite pour les appliquer aux dettes de l'Eglife. Le Patriarche , qui voit
„ qu'il ne peut rien faire fans le confentement de fes Occonomes Eccléfiaftiques
„ & Seculiers, cft obligé d'avoir pour eux bien des complaifânces, & „fouvent c o n -
Ci) Chrifl^ j4>ige}ns de Statu G r x c o r . cap.
(È) Chrifi, ^t^elHS ubi fup.
W Idem ibi'd.
id) Le Chararch ou Haratck ell la taxe que chaque Grec paye par tête au Grand Seigneur. Tout
homme qui a vingt ans accomplis lui paye environ cinq écus par tête. De quinze à vingt on ne paye
que la moitié : mais les femmes font exemptes de celte Capitation.
(«) Ricaut Etat dt tEgliJi Oni^m.
if) Chuifi. ^n^elu! ubi lupr.
Ou douze ajprei.
ih) Le P. Simon Bit'liafh. &c. ubi fup.
Tome I IL Part. L V