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216 III. D I S S E R T A T I O N SUR LA
,, les fiibtilites*des Latins. Je ne croi pas de plus, qu'il foie vrai que les Ar-
„ meniens refufènt de manger toutes fortes d'animaux {a) eftimés immondes
„ dans la Loi, comme Brerewod l'attribue auffi aux Abyffins: mais ce qui a
„ donné occafion à cette creancc, c'eft que les Arméniens & les Abyffins a-
„ vec les autres Chrétiens du Levant, s'abftiennent de manger du (àng & des
3i viandes étoufées, {ans qu'il y ait en cela de fliperdition.
11 (èroit inutile de traiter plus au long de la crcance des Arméniens qui
„ ne font point latinifés : car Tçn en a aflez parlé en expliquant la crcance des
„ Jacobites, dont ils ne différent qu'en ce qui regarde quelques ceremonies Se
, , la Difoipline Ecclefiaftique. Je croi néanmoins que l'on ne (era pas Bché,
„ que je produife ici un Catalogue des principales erreurs qu'un {h) certain Ar-
„ menien latinifé leur attribue; & cela (ërvira de confirmation à ce que nous
, , avons déjà avancé, & nous donnera en même tems lieu d'éclaircir quelques
„ autres points. Cet Auteur reproche à ceux de fa Nation qui ne font point
5, reunis avec le Pape, (c) de fuivre les erreurs d'Eutyches & de Diofoore tou-
3, chant l'unité de Nature en Jefus Chrift ; de croire que le St. E/prit ne pro-
„ cede que du Perej que les ames des Saints n'entrent point en Paradis, ni
3, celles des damnés en Enfer avant le jour du Jugement dernier j qu'il n'y a
3, point de lieux appelles Purgatoire & Enfer ; que l'Eglifé de Rome n'a point
3, de primauté fur les autres Eglifes. Il ajoute de plus, que les Arméniens de-
3, teftent la memoire du Pape Leon & du Concile de Chalcedoine j qu'ils n o b -
3, fervent point les fêtes de nôtre Seigneur à la maniéré de l'Eglife Romaine j
3, qu'ils ne gardent point les jeunes (èlon les Canons de r£gli(ê ; qu'ils ne re-
3, connoiflent point fèpt Sacremens, d'autant qu'ils n'ont point l'ufage de la
„ Confirmation, ni de l'Extrême-Ondlion; déplus, qu'ils ignorent la ve-
„ ritable eflence des autres Sacremens; qu'en la Meflc ils ne mettent point
3, d'eau dans le calice; qu'ils prétendent qu'on ne doit point donner l'Eucha-
3, riftie au peuple que fous les deux efpèces. Il leur reproche aufïï la coutume
3, qu'ils ont de confàcrer dans des calices de bois & de terre ; que tous les Prê-
„ très donnent indifféremment l'abfolution de toutes fortes de péchés, fans
33 qu'il y ait parmi eux de cas refervés; qu'ils font foûmis à deux Patriarches,
„ dont chacun s'attribue le Patriarchat de toute l'Armenie; que les Cures
3, & les Evêques fuccedent les uns aux autres, comme il leurs dignités é-
3, toient des heritages; qu'on vent & achete parmi eux les Sacremens; que
„ les divorces fe font pour de l'argent, fans aucune raifon; qu'ils ne font
3, point d'huile du chrême & des malades; qu'ils donnent enfin la commu-
3, nion aux enfàns avant qu'ils aycnt l'ulàge de la raifon.
„ Il paroit de tout ce dénombrement, que l'Arménien qui eft l'Auteur de
„ toutes ces erreurs prétendues, ctoit latinifé; car, comme nous avons dé-
„ ja remarqué ci-defTus, la plupart de ces opinions font communes à tous les
3, Chré-
(<î) Il efl pourtant v r a i , felon R i c a u t , que chez le? Arméniens c'cfl u n p e c h c q u e de manger du
l i e v r e j parce que cet animal e f t f o r t mélancolique, & qu'en confequence la chair de licvre ell contrairi
à la fante'. Cela n ' a aucun raport à la Religion, mais voici qui en a un peu plus : U femelle du Lievre
e f l reglce comme les femmes. N e feroit-ce pas là la raifon q u i oblige les Arméniens a s'abftenii- du
lievrei*
Cb) Joan. Htrnac afud Galon.
(c) Remarqués ce que Teurnefort dit là-defi"us, j, leurs plus habiles Evcqucs prétendent les laver ds
7, cette Hercfie. Ils foutiennent que toute l'erreur vient de la difette de leur langue, laquelle man-
, quant de termes propres fait qu'ils confonden - - - - ' t fouvent le mo t de Na t u r e avec celui de Pcrfonne • -
L e P. Monier dans fa Relation de l'jirmenie développe affes clairement l'Eutichianifmc des Armeniens,
mais après tout ce q u ' i l en raporte montre u n i q u e m e n t , que leur hercfie confifte en des termes qu'ils
n'entendent pas &: fe termine à des confcquences tiices avec trop de fubcilité &c.
R E L I G I O N DES GRECS, ai;
,, Chrétiens du Levant, de la manière que nous les avons expliquées en par-
„ lant des Grecs. Ce qu'on pourroit reprendre dans les Arméniens , c'eft
„ qu'ils s'attachent trop fcrupuleufement à de certains jeûnes qui font en gran-
„ de quantité parmi eux , & qu'ils ne fe font pas inflruire aflèz exadement
„ des myfteres de la Religion. Il n'y en a point dans l'Eglife Orientale, qui
„ faflè plus d'eftime des jeûnes que les Arméniens; & l'on diroit à les enten-
„ dre parler, que toute la Religion confifleroit à jeûner. Pour ce qui efl de
„ l'obftination qu'ils ont toujours fait paroître pour celebrer la Fête de Notre
„ Seigneur & fon Epiphanie en un même j o u r , ils ne paroifTent pas blâmables
„ en cela; {a) parce que cet ufage a été long-tems dans l'Eglife, & qu'en ef-
„ fet l'Epiphanie ou l'apparition de Notre Seigneur n'efl proprement que fà
,, NaifHince.
„ La qualité de Maitre ou [h) Docteur efl fî grande parmi les Arméniens,
„ qu'ils la donnent avec les mêmes ceremonies que l'on conféré les Ordres ;
„ & ils (r) difent que cette dignité imite celle de Notre Seigneur , qui s'ap-
„ pelloit Rabbi, ou Maitre. Ce font ces Docteurs que l'on confulte dans tes
„ points de Religion , & qui en décident, confïderant les Eveques plutôt
„ comme des perfonnes propres à adminiftrer les Ordres , que comme des
3, Douleurs. Ce font ces mêmes Dofleurs qui prêchent dans les Eglifës , &:
„ qui font les juges des difïérens qui flirviennent entre les particuliers. En un
„ m o t , ils tiennent le même rang parmi eux, que les Rabbins parmi les
„ Juifs.
„ L'Ordre Monaflique efl auffî en grande reputation parmi les Arméniens,
depuis qu'un de leurs Patriarches nommé Nierfès introduifît celui de Se,
3, Bafile : mais depuis qu'ils fe font réunis avec l'Eglife Romaine, (i) ils ont en-
,3 tierement changé leur Regie pour ^'accommoder à celle des Latins ; ôc l'Ar-
3, menien dont nous avons rapporté ci-defîus un Catalogue des erreurs qu'il
„ impute à fa N a t i o n , étant venu à Rome , fit voeu que fîtôt qu'il feroic
„ de retour en Levant, il vivroit lui & fcs compagnons felon la regie de St.
3, Au-
(ii) Voy. là deffus u n partage d u D o f l e u r Cave dans l'Etat de CEglife Arménienne par Ricaut. Cliap.
V I .
c^) Us les appellent VertAbiets. Le P. Motiier dans fâ Relation de l'^rmenie affure, q u ' i l s ne font pas d i f -
ficulté de prendre le pas fur les E v ê q u e s qui n'ont pâs le d é g r é d e D o â e u r ; qu'ils portent la crorte &
qu'ils ont une M i f l l o n générale pour prêcher partout où il leur plait j que plufieurs forit Supérieurs de
M o n a f t e r e s , que les autres courent le monde & débitent leurs Sermons aux peuples q u i les écoutent avec
refpefl:. Pour n'en faire pas à deuX f o i s , voici ce q u ' i l y a de plus remarquable à leur égard. Le titre
de yertabiet parte, fans beaucoup de fcience ni d'application, d u maitre au difciple. Au moins le P.
Manier nous l'affure a i n f i , ajoutant que pour le communiquer de cette façon , l'on enfeigne au difciple
certains-traits de l ' H i f t o i r e E c c l é f î a f t i q u e , fur t o u t , C& ceci efl: remarquable) de ceux qui ont rapport
à leurs opinions erronées. A cela l ' o n ajoute quelque chofe de f o r t important encore, c'eft de favoir
comment s'appelloient les Saints Peres. Rien n'eft- plus commode que la fcience acquife de cette
maniéré. Il faut efperer que nos jeunes gens parviendront peu à peu au même avantage. Déjà leur capacité
fe b o r n e a i u idées générales des chofes, ils pafTent diligemment d ' u n abrégé de Philofophie à ua
abrégé de T h é o l o g i e , ils n ' é t u d i e n t l ' a n t i q u i t é q u e dans ces favantes gazettes que leurs auteurs o f f r e nt
tous les trois mois au public comme les f r u i t s de leui-s veilles. Dans ces mêmes gazettes ils cherchent I
prendre le g o u t , la délicatcffe, l'art de raifonner & celui d'écarter les préjugés. Ils apprennent par coeur
les opinions orthodoxes & hétérodoxes, & enfin parviennent à connoitre de nom les D o f t e u r s anciens &
tnodernes. Mais revenons encore une fois aux Vertabids. Ils fe font rendre un grand refpeft : ils reçoivent
artis les perfonnes qui les N-ifitent, fans même excepter les Prêtres. On s'avance modertemcnc
vers eux pour leur baifer la main, & après s'être retiré à ti-ois o u quan-e pas d ' e u x , on fe met à g e.
noux pour recevoir leurs avis. Les VertAbiets, nous dit TcMrncfort, ofent bien ufurper le pouvoir d'excommunier.
Ils vivent de h quête que l ' o n fait pour eux après le Sermon. Ils gardent le Célibat &
jeûnent rigoureufemcnt les trois quarts de l'année.
(c) Galàn. in ConcU. Ecclef. Armen. cum Rom.
(d) Les Religieux Schifmatiqucs fuivent toujours h Regie de St. Bafilc, mais les C a t h o l i q u e s , ou
reunis fuivent celle de St. D o m i n i q u e.
Tome III. Pars. I. lii