viner de quelle architecture pouvaient être plusieurs
blocs de granit parfaitement taillés, mais sans aucune
sculpture. J’avais terminé mon observation lorsqu’on
vint nous chercher du couvent. En voyant le radeau
qui allait nous emporter, je m’empressai de donner ma
montre et ma boussole à un de nos domestiques, qui
devait rester en terre ferme ; car je pensai qu’un plongeon
pourrait bien entrer dans le programme de la journée.
En effet, notre esquif se composait de roseaux liés
ensemble par une courroie, et lorsque nous fûmes assis
dessus, l’eau effleurait le bord supérieur du faisceau :
encore n ’y avait-il pas de va-et-vient pour le tirer d’un
bord à l’autre, mais une perche servant de rame, et
qui n’était pas toujours efficace contre le torrent. Nous
arrivâmes cependant à bon port. Quelques moines
avaient été envoyés au-devant de nous : après nous
avoir souhaité la bienvenue, ils nous conduisirent, en
nous faisant traverser la ville, à l’église qui est placée
sous le patronage de saint Étienne : l’île est nommée
DebraNegoudgoade. Cette église est de construction moderne
abyssine; mais autrefois elle a été bâtie en pierres
de taille, et on en trouve encore, autour de l’ence
in te , quelques fragments qui servent de sièges.
Les Abyssins d’aujourd’hui n’ont rien dans leur chro--
nique qui indique l ’époque de ces constructions. Tout
ce que le moine qui nous servait de cicerone put nous
dire, c’est qu’elle fut d’abord détruite par Gragne ,
puis rebâtie, puis détruite une deuxième fois par le
fe u , accident auquel on doit aussi la perte de la bibliothèque,
dont il ne reste aujourd’hui que deux ou
trois cents livres, parmi lesquels il n’en est aucun
qui remonte à une époque plus reculée que Gragne.
Pendant un certain temps, cette île avait été séjour
impérial. Le premier empereur qui s’y était établi se
nommait Atié Delnad : il y avait fondé un couvent de
nobles dames et avait mis à la tête l’abouna Salama Za-
zeb. Quatre cents ans plus tard, sous le règne d’Atié
Yecouna Amlak, 1 abouna Iesmoua y apporta un
tabernacle de Jérusalem, et demanda que cette église
fût placée sous la direction de moines venus d’A-
xoum. Il obtint sa requête, et en outre, des protections
et des garanties contre les seigneurs du pays.
Les dotations s’élevaient déjà à trois cent trente-trois
goults : elles furent doublées, et ce couvent devint le
plus riche de l’Abyssinie. Mais après l’invasion de
Gragne, les Gallas s’emparèrent de ces terrains, et
depuis lors les désordres de l’État ont empêché les
souverains dé les reconquérir pour les restituer à leurs
anciens maîtres. Le couvent fut cependant rétabli
aux frais des moines et par quelques dotations volontaires,
mais non plus avec son ancienne splendeur.
Au sortir de l’église, nous fûmes conduits au réfectoire,
et l’on nous servit à déjeuner; puis notre cicerone
nous apporta les quelques livres qui restaient dans
la bibliothèque. Tous traitaient de religion, et nous
les connaissions déjà, sauf une chronique de Gragne,
que nous empruntâmes pour la copier. Nous fîmes ensuite
une promenade dans l’île. De petits jardins, enclos
par des haies de taddo (espèce d’arbuste qui ressemble
au myrte) entouraient chaque chaumière, et formaient