nous fûmes invités à souper par notre hôte, et nous
nous rendîmes à l’invitation pour être témoins des
usages d’une maison galla. On nous fit asseoir sur un
alga placé à côté de celui du maître; on mit devant nous
une table chargée de pains et de me ts, puis on dressa
tout autour de la salle une série d’autres tables garnies
avec la meme profusion. Cela fait, tous les gens de la
m aison , au nombre d’environ deux cents, entrèrent
sur deux rangs et vinrent prendre place en s’asseyant
par terre. On procéda ensuite comme nous l ’avons déjà
rapporté ; mais ici l ’éclairage était plus brillant que
dans le Tigré, e t , au lieu de petites bougies de c ir e ,
une douzaine de jeunes gens tenaient en main de
grosses torches de deux pouces d’épaisseur, faites en
coton tordu et trempé dans du suif bouillant. Pendant
ce dîner, Abba Mali nous prouva qu’il avait observé
les moeurs du petit nombre d’Européens qu’il
avait été à m ême de voir ; car il n’attendit pas la fin du
repas pour nous faire servir à boire. Notre soif n’était
certainement pas digne de répondre à ses exhortations ;
mais nos gens ne se firent pas tant prier, et vers la fin
du repa s, leur exaltation témoigna de leur haute
liesse. Ils amusèrent beaucoup notre hôte par leur
danse guerrière, et leurs chants, qui différaient de
ceux des Gallas, en leur étant, à mon a v is, bien
supérieurs. Cette fête fut interrompue par l’arrivée
d’un seigneur galla qui venait rendre hommage à
Mali.
Ce seigneur s ’avança au milieu de la salle, d’où
toutes les tables avaientété enlevées. Ceux des serviteurs
qui avaient le droit de s’asseoir prirent place au pied de
l ’alga du maître; les autres se tinrent debout, appuyés
contre la muraille. Tout le monde se disposa à écouter
le discours du Galla, qui, de son côté, attendit, pour
commencer, que le silence se fût établi.
On lui donna alors unalanga, ou fouet; car c ’était
un de ces chefs qu’on nomme balalanga, espèce de
licteurs qui portent Talanga devant les grands gouverneurs,
comme on portait les faisceaux devant les
consuls romains. Dès que le Galla eut ce fouet en main,
il le fit claquer deux ou trois fois avant de prononcer
une parole; ensuite il s’écria : « Vous êtes mon maître.
Dieu qui vous a donné la force et la victoire, vous
a inspiré la clémence. Vous avez terrassé votre ennemi
, et lorsque, le front dans la poussière, il vous
a regardé comme la gazelle blessée regarde le chasseur,
vous ne lui avez pas donné la m or t, et vous vous êtes
ainsi gagné des coeurs dont la vie vous appartient tout
entière. » Ce disant, il continuait à faire claquer son
alanga. Il raconta les divers épisodes de cette guerre,
dans laquelle Abba Mali l’avait réduit aux abois; il
parla de la famine que lui et les siens avaient éprouvée
lorsqu’ils avaient été obligés d’émigrer. Il fit le
tableau de ses enfants morts en combattant, de ses
femmes emmenées en esclavage. Pendant longtemps
lui-même se tint caché dans le Godjam ; mais l’amour
de ses foyers l’emportant, il vint demander grâce à
son vainqueur, qui lui restitua pouvoir et richesses. A
ce moment de son discours, sa parole devint saccadée,
et l’alanga claqua avec plus de force : il finit en faisant