les yeux un précipice qui s’étendait à droite et à gauche
jusqu’à perte de vue; des vapeurs épaisses nous en
cachaient les profondeurs. Derrière nous un beau ciel
dorait des champs de blé et quelques touffes d’herbes
desséchées; en face, l’horizon qui manquait aux yeux,
le sol qui manquait aux p ied s , semblaient faire de ce
lieu un des confins de la terre.
Ce tableau était saisissant : je voulus le revoir à un
autre moment de la journée. Les vapeurs s’étant dissipées,
l’oeil pouvait suivre une pente escarpée qui menait,
cinq cents mètres plus bas, à une plaine immense ;
dans cet intervalle étaient comprises toutes les phases
d’une végétation active, depuis les genévriers et plusieurs
espèces de térébinthes , en passant par les
o liviers, qui indiquent dans ce climat une hauteur
absolue de 2 2 0 0 mè tre s, jusqu’aux mimoses, qui
forment l’extrême lim ite, passé laquelle on ne voit
plus aucune végétation. La plaine n’offre d’abord que
des sables arides, et plus loin, une surface miroitante,
qui réverbère les rayons du soleil comme une mer
calme sous le tropique.
Nous passâmes la nuit dans un des villages de cette
frontière; nous y fûmes régalés de boulettes de farine
d’orge trempées dans de l’eau. A cinq heures du matin
nous commençâmes à descendre vers la vallée de Ficho,
La pente est assez rapide pour qu’on ne puisse marcher
sans l’aide d’un bâton ; cependant, comme le chemin
est tracé et débarrassé de rocs, en cela préférable à celui
du Tarenta, les chameaux peuvent le gravir, pourvu
qu’ils ne soient pas chargés; mais les mules seples y
circulent avec facilité ;-les ânes sont excellents à la descente,
mais faibles à la montée : souvent, dans les endroits
escarpés, leurs guides sont obligés de les aider
en les poussant par derrière. Nous mîmes trois heures
et demie pour arriver dans la vallée.
Nous nous trouvâmes alors dans un ravin qui encaisse
un ruisseau : Ficho est bâti au bord. Rien ne pourrait
rendre la sensation de chaleur qu’on éprouve dans cet
endroit ; de tous les animaux le chameau est le seul
qui puisse y résister : beaucoup vont, il est vrai, jusqu’à
la plaine deSel, mais leurs maîtres ontsoin de se munir
d’herbes et de pailles fraîches avant de quitter les hautes
terres; d’ailleurs ce n’est qu’une fatigue de quelques
jours, après laquelle ces animaux trouvent le repos dans
un meilleur climat. Dans la cahute du ch e f chez qui
nous fûmes introduits, nous aperçûmes une mule entretenue
à grands frais, ce qui ne l’empêchait pas d’être
une véritable pièce d’ostéologie.
La ville de Ficho peut contenir 1 500 habitants ; ses
cahutes, placées toutes sur la pente du ravin, à quelques
pas du ruisseau, sont mal construites, et, à juger
d’après leur misérable apparence, on ne s ’imaginerait
guère que c’est là un des plus riches pays de l’Abyssinie.
On dirait que l’influence desséchante du soleil a aussi
atteint le cerveau des habitants, car je n’ai jamais pu y
voir germer d’autre idée que celle du gain. Boire est
leur seul plaisir, aussi sont-ils constamment ivres. Il
s’ensuit nécessairement de fréquentes disputes; de là
l’usage, général chez eu x , de ne se montrer nulle
part, fût-ce à leur porte, sans leur bouclier. Notre