que M. Vignaud se fût trouvé dans un péril sérieux.
Dans un moment où j’avais tant besoin d aide et de
consolation, ce nouveau contre-temps me fut bien cruel :
néanmoins, pressé d’en connaître tout le déboire, je
ne restai à Gondar que juste le temps nécessaire pour
organiser l’acheminement de mes caisses vers Mes-
soah. J’expédiai un courrier dans le Tigré pour informer
M. de Jacobis de mon arrivée, et le prier de vouloir
bien diriger mes lettres sur Messoah, où elles seraient
confiées aux chefs de barque qui vont à Djeddab. Je
revis à Gondar l’aboune Abba Salama. Cette fois-ci,
sachant que je me rendais en Égypte, il me combla
de prévenances et de politesses. Le pauvre homme
commençait à mesurer sa grandeur à son véritable
poids, car il voyait bien que son projet de s’évader
n’aurait jamais d’exécution. Il n’avait donc plus
qu’à se considérer comme un modèle de piété filiale,
et envoyait à sa famille, par chaque occasion, la" plus
grande partie de ses revenus. Puisse-t-il toujours être
à même d’accomplir un devoir aussi pieux ! mais sa
conduite envers le clergé abyssin peut le conduire à
une fin malheureuse. En effet, cet homme, qui était
trop ignorant pour discuter et convaincre, répondait,
comme nous l’avons déjà d it , à toutes les objections
par des excommunications. Il n était pas alors une
église de Béguémedeur ou de Godjam qui ne fut
excommuniée : de là des murmures universels. Il était
déjà question de reléguer l’aboune dans une île du lac
Tsana.
Le 19 ju in, je pris congé de l’alaka Habeta Sallassé,
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et me mis en route pour le Tigré. En sortant de Gondar,
je descendis dans une vallée étroite, où je traversai
la rivière Anguereb, et montant le versant opposé, je
me trouvai sur les collines qui forment le district appelé
Koke. A la descente de ces collines, par une
pente assez rude, on vient à la rivière Maguetche,
que l’on traverse sur un pont, et l’on s’élève ensuite
sur le plateau de Bambelo. On est alors dans le Ouo-
guéra, une des provinces d’Oubié : c’est la première
station des caravanes qui vont de Gondar à la mer, et
plusieurs étaient campées près d’un ruisseau qui se
dirige vers le sud. A partir de Bambelo, ce ne sont
que pays de hauts plateaux, où le froid est assez vif.
Je fus enchanté de trouver un gîte à Isak Debeur, au
lieu de coucher sous ma tente, après un orage qui me
surprit dans le milieu de la journée. De ce village on
aperçoit la chaîne de Ouaïna Dega, et le pic de Nora
qui s’élève à la bordure de la plaine de Bêlasse, dont
on relève la direction au sud 10° est. Nous traversâmes
le lendemain au sortir d’Isak Debeur, une plaine qui
se nomme Andjiba Méda. Une heure après, je passai
à côté de Gueudguié Amba, village situé sur une hauteur,
et je marchai encore trois heures avant d’en atteindre
un autre, Messal Denguia, nom qui lui vient
d’une pierre ayant la propriété d’aiguiser parfaitement
les sabres. J’arrivai ensuite à la rivière Tamamé ;
j’avais èn vu e, à quelque distance, le pic d’Ouakène.
Je passai la nuit à Chimbera-Zéguène, un des plus
grands marchés du Ouoguéra. Je marchai, le jour suivant,
pendant trois heures, dans un pays de plaine,