être alors les peuples de la mer Rouge verraient-ils se
lever l’aurore de la civilisation, quoique la puissance
anglaise soit plutôt exploitante que civilisatrice ; mais,
à moins que ce moment ne soit prochain, ils n’auront,
et nous le répétons, qu’à perdre sous tous les rapports
d’être rentrés sous la domination de la Porte.
Mais les clauses mêmes stipulées par la France, et
l’antagonisme des intérêts politiques de l’Europe,
porteront, au but poursuivi avec tant de persévérance
par les Anglais, un obstacle beaucoup plus sérieux que
ne pourrait faire la résistance de la Porte et de l’Égypte.
La question d’Orient, dont le noeud est le percement
de l’isthme de S u e z , est devenue le point convergent
de la politique européenne, et si jamais le commerce
de la mer Rouge se régénère, ce ne pourra être que
l’oeuvre collective de toutes les nations civilisées du
monde.
A ce point de v u e , l’objet spécial qui nous occupe
prend des dimensions beaucoup plus larges et n’est
plus restreint dans le cercle d’une appréciation commerciale.
Si aucun lien moral ne rapproche ces peuples
de l’Arabie des peuples commerçants, les efforts
de ceux-ci ne créeront jamais un commerce actif avec
les premiers. Ceci n’est pas un jugement a p riori :
consultez les faits. A quel résultat sont arrivés les
Portugais dans la mer Rouge, au plein de leur puissance,
et commandés par le grand Albuquerque? A
quoi sont parvenus les Anglais, malgré leur audace,
leur persévérance, leur activité proverbiale? à voir le
déclin continuel de leurs relations avec les Arabes. Car
ce n’est pas en encombrant ses marchés qu’on fait
naître chez un peuple le besoin de la consommation ;
ce n’est pas en s’emparant d’une bicoque qu’on acquiert
de l’influence dans un pays, surtout lorsque
cette autorité est nettement circonscrite par la ceinture
des feux d’une batterie. A moins de conquête, l’influence
se mesure, comme nous l’avons dit, aux sympathies
, et les Anglais ont trouvé dans la mer Rouge
le mécompte qu’a rencontre ou qui attend quiconque
a voulu ou voudra se compromettre avec ce géant à
demi abattu, qu’on nomme l’islamisme. Voudrait-on
alléguer que l’obstacle n’est plus systématique de la
part du gouvernement turc, par cette raison qu un récent
traité favorise l’entrée des marchandises étrangères
dans tous les ports de sa dépendance ? Mais connait-on
là distance qui sépare le peuple arabe de son gouvernement?
croit-on qu’un ordre du sultan puisse d'un seul
coup anéantir la répugnance instinctive qu a tout dévot
musulman à traiter avec un chrétien, et jamais la religion
de Mahomet admettra-t-elle cette facilité dans le
négoce, qui est le garant de sa prospérité ? Ainsi l’avenir
commercial de la mer Rouge est compris, toute
proportion gardée, dans le destin de cette lutte, tantôt
ouverte, souvent sourde, mais continuelle, où sont
engagées les deux sociétés émanées des deux principes
religieux si différents. Nul n’en peut prévoir la durée;
mais nous exprimerons, dans son issue, une confiance
partagée, nous l’espérons, par tous les bons esprits.
La Bible, comme le Coran, ont accompli leur mis-
- sion morale et sociale ; les deux sociétés qui en sont