présence de ces corps étrangers que les Abyssins ne savent pas extraire,
s’opposait à la guérison. J’en extirpai plusieurs, à la grande admiration
des assistants qui ne se lassaient pas d’examiner mes instruments dont
ils comprenaient d’ailleurs fort bien le mécanisme et.l’usage. Â la suite
de l’opération , il me fallait, pour la guérison, plus de temps qu’il n’eût
été nécessaire en Europe, dans les conditions aussi favorables que celles
dans lesquelles se trouvaient tous ces blessés qui appartenaient exclusif
vement au parti du vainqueur. Cependant Bruce ( t. X , p. 200) me paraît
avoir été beaucoup au delà de la vérité quand il avance que les
plaies par armes à feu sont en quelque sorte nécessairement mortelles
par gangrène, si un os a été atteint. Je n’ai rien vu de semblable chez
les blessés que j’ai soignés dans le camp d’Oubié. Ces particularités propres
aux plaies contuses, sont fort curieuses surtout si on les met en regard
de ce qui se passe dans les grandes plaies par instrument tranchant
, comme nous l’avons déjà fait.
Piqûres de scorpions. — Les plaies envenimées produites par les piqûres
de scorpions sont très-communes, mais c’est plus particulièrement
pendant mon séjour dans le Chiré(du 9 août au 1er septembre 1841 ),
que je les ai rencontrées en grand nombre, et à toutes les périodes. Dans
tous les cas, j’employai la cautérisation avec l’ammoniaque et l’usage
intérieur de cet alcali : constamment les accidents furent arrêtés presque
aussitôt, et cependant chez quelques sujets la douleur et le gonflement
occupaient déjà tout le membre blessé et des convulsions s’étaient
déclarées.
Du toenia et de ses différents modes de traitement.
Le tænia est tellement répandu en Abyssinie, que ceux qui n’en sont
pas atteints forment une véritable exception. Un étranger est à peine
arrivé dans le pays depuis quelques mois, qu’il lui faut payer son acclimatement
et son droit de bourgeoisie par l’inévitable tænia dont les
accidents ne tardent pas à se manifester.
Le kosso, c’est ainsi que les habitants nomment le ver solitaire, détermine
d’ordinaire les symptômes suivants :
On éprouve un sentiment de faiblesse qui se manifeste surtout par
une lassitude très-grande après le moindre exercice, la tête est douloureuse,
l’estomac, particulièrement après les repas, est le siège d’une
douleur avec chaleur et sensation d’une espèce de grattement. Pour
mon compte, je fus quelquefois tourmenté de coliques atroces avec.
sueurs froides, dévoiement et un état de malaise inexprimable qui me
rendait indifférent à tout ce qui m’entourait ; j ’étais alors plongé dans
cet hébétement qui accompagne le mal de mer, paralyse la volonté et
ne vous permettrait pas de faire le moindre mouvement pour éviter un
danger. Un signe pathognomonique c’est la décoloration des matières
fécâles qui deviennent blanchâtres, ou plutôt fauve clair, gris jaunâtre,
et présentent parfois des débris de tænia.
A quelles causes peut-on rapporter l’universalité d’une semblable maladie?
Quelques personnes ont pensé que l’usage de la viande crue devait
être uniquement accusé. Je ne partage pas cette opinion, car j’ai vu
plusieurs Européens qui n’en faisaient point usage être cependant attaqués
du tænia. Ainsi mon compagnon, M. Lefebvre, qui jamais n’a
mangé de brondou, présenta les symptômes du tænia.
Mais après son arrivée, M. Dabaddie (le jeune), placé dans les mêmes
conditions, en a été attaqué au bout de neuf mois. Ces exemples, que je
pourrais multiplier encore, suffisent, je crois, pour réfuter complètement
l’opinion que je viens de signaler. J’ajouterai de plus qu’en Suisse,
dont la situation géographique ressemble tellement à celle de l’Abyssinie,
qu’en Suisse, dis-je, les habitants de certaines localités offrent
précisément cette disposition à contracter le tænia, et certes il ne saurait
être question ici de viandre crue. Rien ne prouve non plus que le pain
de Teff ou l’usage de l’hydromel puissent être regardés comme les causes
du tænia. En Abyssinie, ainsi qu’en Suisse et dans les autres endroits
où règne le ver solitaire, je pense que la véritable origine de cet helminthe
doit être rapportée à la nature des eaux que boivent les habitants ;
cette opinion, la plus ancienne, est peut-être encore la plus rationnelle.
Si la maladie est commune, les moyens qu’on lui oppose ne le sont
pas moins : la nature semble avoir prjs à tâche de multiplier les an-
thelminthiques en Abyssinie, en même temps que par une influence qui
nous échappe , elle donnait le ver solitaire à tous les habitants. Cette
circonstance réfute ces vers si mordants de Voltaire sur les prévisions
de la Providence :
Dieu mûrit à Moka dans le sable arabique
Lq café nécessaire au pays des frimas ;
Il met la fièvre en nos climats,
Et le remède en Amérique.
Ici le remède est à côté du mal. Les Abyssins opposent au tænia un
grand nombre de substances ; voici les principales : d’abord le kosso, qui
porte le même nom que le ver lui-même, le besenna, le metchametcho