mes montres et mes instruments, toutes choses d’aucune
valeur pour eux. Ils me restituèrent un chronomètre,
mon cercle à réflexion, mes papiers (sauf
deux cartes dont ils comptaient faire des amulettes)
et ma boussole. Nous nous séparâmes alors en bonne
intelligence ; mais, après avoir fait environ deux cents
p a s, nous les vîmes s’arrêter et se consulter. Nous
sûmes depuis que quelques-uns avaient ouvert l’avis de
nous tuer, afin d’éviter toute réclamation; mais l’un
des chefs s y opposa, disant : « nous sommes déjà assez
coupables d’avoir dépouillé un ami de notre seigneur
et maître; le tuer serait nous exposer à lui devoir le
prix du sang, chose trop dangereuse arec un homme
comme Balgada Aréa. « Nous les vîmes donc s ’éloigner,
non sans beaucoup de plaisir. Le mieux qui nous restait
à faire était de retourner à Tchéleukot pour obtenir
des renseignements sur nos voleurs et récupérer
notre bien, s il y avait lieu , sinon emprunter quelque
argent. Cette décision prise, nous pressâmes le pas,
quoiqu’alors nous ne craignissions plus les voleurs.
Malgré notre désappointement, nous ne pouvions nous
empêcher de rire en voyant l’accoutrement de nos gens.
Ato Nagaro nous exprima sur-le-champ toute la part
qu’il prenait à notre fâcheux accident. 11 était furieux
contre ces bandits qui, en pillant des étrangers, avaient
manque à toutes les lois de l’hospitalité. « Jamais pareille
chose ne s’est vue dans l’Enderta, disait-il; lors
meme des plus grands désordres, un étranger pouvait y
voyager en toute sûreté, témoin Pearce et Coffin, qui
ont toujours été respectés pendant les guerres du ras
EN ABYSSINIE. 97
Ouelda Sallassé et de Sébagadis. Dépeignez-moi vos voleurs;
au portrait que vous m’en ferez, je saurai vous
dire qui ils sont. » Aussitôt que nous les lui eûmes décrits,
il s’écria : « Ce sont Ato Guebrioud et Ato Enguéda.
Je vais aller trouver sur-le-champ leur père,
Balgada Samuel, et j ’espère qu’à ma considération vos
effets vous seront rendus. »
Là-dessus, il partit en effet, nous laissant à nos réflexions
qui, sauf l’espoir qu’il venait de nous donner,
étaient des plus tristes. Nous jugions notre position
fort embarrassante; dans un pays montagneux, où
il n y a pas de routes tracées, voyager à pied était chose
fort difficile, surtout avec des instruments et des collections
à transporter. D’un autre côté, l’argent est
chose si rare chez tout autre qu’un marchand en Abyssinie
, qu’il eût été impossible de trouver à en emprunter
à Tchéleukot. Enfin, le voyage à la mer était
long, et nous courions le risque, en l’entreprenant, de
nous trouver séparés de M. Petit pour tout le temps
qu’il nous fallait encore passer en Abyssinie.
Le retour d’Ato Nagaro n’eut pas lieu de nous distraire
de ces pensées pénibles : la réponse qu’il avait
obtenue de Balgada Samuel, quoique polie, était assez
évasive. En Abyssinie, les bonnes paroles coûtent peu,
et on n’en est jamais avare. Notre hôte connaissait trop
bien son pays pour ne pas savoir à quoi s’en tenir à
cet égard; c’est pourquoi il ne fit aucun cas de l’espèce
de promesse qui lui avait été faite; mais, apprenant
que nos pillards étaient à Antalo, il fit seller sa mule
pour s’y rendre immédiatement. Nous espérâmes beau