dresser les tentes en plein champ. En m’entendant
parler ainsi, le maître de la maison se radoucit, et
s adressant à M. Petit et à moi : «Vous autres blancs
serez les bienvenus, nous d it-il. Ce n’est pas pour
vous que j ai parlé. Quelle que soit ma pauvreté, je ne
souffrirai pas que vous restiez dehors tant que j ’aurai
un peu de feu à vous offrir. Mais les hommes qui vous
accompagnent ont manqué de politesse, et ils ne coucheront
pas sous mon toit. » L’alaka Ouelda Kidane se
mêla alors de 1 affaire, et avec sa parole m ielleu se, il
eut bientôt ramené la paix et la bonne harmonie.
Comme la généralité des hommes emportés, notre
hôte avait le coeur bon : a peine eut—il résolu de nous
bien traiter qu il fit tous ses efforts pour que nous
n eussions pas trop à souffrir de sa misère. Il abandonna
sa maison pour ne pas nous gêner, sacrifia son
b o is, qui est assez précieux sur ces plateaux élevés à
cause du ehemin qu il faut faire pour l’aller chercher;
enfin il voulut nous offrir a souper, ce que nous refusâmes,
1 invitant au contraire à partager nos provisions.
Lorsque nous nous levâmes à six heures du matin,
le thermomètre marquait 4°. Avec le costume abyssin
, c’est-à-dire les jambes et les pieds nud s, cette
température n’était pas trop engageante; aussi nous
empressâmes-nous de partir. Mais les mules avaient la
plus grande peine à marcher sur un terrain humide
couvert de verglas, en sorte que nous fûmes près d’une
heure à faire un mille. Notre chemin était cependant
en plaine, car à partir de Tsera Guedel, la rampe s’élargit
et s’abaisse par une pente douce vers la vallée
galla et celle des Yedjous. A l’ouest se trouvait un
escarpement qu on nomme Enade, au bas duquel est
la ville du meme nom. Nous en passâmes très-près sans
que la douane cherchât à nous inquiéter. A partir de
Tsera Guedel, la végétation renaissait; déjà nous voyions
des champs d’orge; mais elle était loin d’être à maturité,
car sur cette terre il faut neuf m o is, quelquefois
dix, avant de pouvoir la récolter. A Motchette, le soleil
avait recouvré toute sa chaleur, la moisson y était
avancée de trois mois sur celle de Tsera Guedel, quoique
ces deux endroits fussent très-rapprochés l’un de
1 autre. A droite de Motchette est un ravin dont les
côtés sont disposés en escaliers, sur la gauche larampe
se termine tout à coup par une muraille verticale qui
va à l’est chez les Gallas, au sud chez les Yedjous. Au
lieu de suivre le ravin, nous prîmes, à l’extrémité du
plateau , un ehemin tracé avec beaucoup d’entente qui
permettait de descendre malgré l’effrayante déclivité
de la montagne.
Nous apercevions devant nous la vallée yedjou profondément
encaissée entre la haute chaîne du Ouadela
faisant suite à celle du Lasta, et un rameau détaché de
la pointe d’Angote, mais beaucoup plus bas que le Ouadela.
Cette vallée yedjou n’est pas d’une largeur uniforme;
souvent elle paraît fermée par des arêtes qui
partent de l’escarpement du Ouadela; en d’autres endroits
elle s’élargit par des rentrées de la chaîne qui
forment des bassins arrondis. Partout elle est très-fertile
, et 1 on n’y voit aucun terrain dépouillé de végétation,
même sur les pentes les plus escarpées.