lieu , et l’on vit paraître une main d’enfant. A cette
vue ce fut un cri unanime d’horreur et de dégoût ;
et la femme qui avait apporté le -p la t, loin de s’en
émouvoir, répondit qu’elle n’avait cru faire que son
devoir en servant le mets ordinaire de l’aboune. Mais
celui-ci se levant, imposa les mains sur le cadavre de
l’enfant et invoq îa son témoignage pour confondre les
calomniateurs. Aussitôt l’enfant ressuscita, et, debout
sur la table, il dit q îe non-seulement l’aboune n’avait
jamais mangé d’enfant, mais encore qu’il n’avait jamais
bu d’hydromel, jamais d’eau-de-vie, jamais proféré
un mensonge; qu’il était un saint homme, fort
aimé de D ieu , qui dès ce moment même lui octroyait
le don des miracles. L’aboune jeta sa malédiction sur
les habitants du pays yedjou et leur dit qu’à tout jamais
leurs mains resteraient tachées de sang ; et c’est depuis
lors qu’avaient eu lieu ces combats de village à
village.
Comme on finissait de nous raconter cette légende,
un guerrier coiffé à la Condala (cette coiffure n’est
permise qu’à ceux qui ont remporté un trophée à la
guerre) vint nous offrir de nous loger chez lui. Nous
acceptâmes et le suivîmes. A peine nous eut-il installés
que, s’emparant de sa lance et de son bouclier, il nous
quitta pour aller prendre part à la fête : ainsi nous courions
risque de perdre notre hôte le jour même. Quelques
uns de nos jeunes gens sentaient s’exciter leur
ardeur guerrière, et n’auraient pas été fâchés de rapporter
dans leur pays quelque titre à la renommée;
mais nous ne jugeâmes pas à propos de leur laisser
courir les chances d un combat dont ils n avaient pas
l’habitude et dont nous étions loin d’approuver l’objet.
Nous les engageâmes à employer plus pacifiquement
leurs lo isir s, en allant faire des échanges pour notre
approvisionnement. Ils partirent donc pour le marché,
munis de colliers rouges, d’aiguilles et de ciseaux avec
lesquels ils firent de bonnes affaires, ce qui leur permit
sans doute de compléter leur enthousiasme sur les
moeurs chevaleresques du pays, car ils nous revinrent
complètement ivres.
Notre hôte nous laissa dans l’inquiétude de son sort
jusqu’à la nuit ; mais il revint sain et sauf, rapportant
les armes d’un homme qu’il avait tué. 11 paraît que ce
n’était pas son premier exploit, car il semblait n’en
tirer aucune vanité, et n’entonnait pas le chant de
victoire, comme le font en pareil cas des guerriers
moins éprouvés. Il se contenta de nous dire que 1 affaire
n’avait pas été décisive, que chaque parti avait
eu cinq ou six hommes tués et une vingtaine de blessés,
sans que ni l’un ni l’autre reculassent. La nuit
seule avàit mis un terme au combat, qui devait recommencer
le lendemain, ce qui réjouissait grandement
notre h ô te , car il espérait rapporter quelque
nouvelle dépouille. Je lui demandai comment se faisait
la répartition des combattants, et si tous appartenaient
à un même pays. Il me répondit que la lutte avait
presque toujours lieu entre habitants de villes rivales :
aujourd’hui c’était la ville de Oualdia contre celle de
Goura, qui est à la frontière du pays adal, dans un pays
montagneux. La population de Goura est agile et belli