bout de l’oreille, en nous révélant la secrète ambition
de son âme : il était tout simplement le plus riche particulier
de son endroit, ce dont il aurait pu se contenter;
mais ses écus couvaient une soif immodérée de grandeurs
et de titres. Jusqu’ici tous les cadeaux qu’il avait
faits à la mère de Sahelé Sallassé, qui gouvernait la province,
étaient demeurés sans effet, et il voulait tâter de
notre crédit auprès du roi. Il s’en ouvrit suffisamment
à nous : mais comme nous n’avions pas de notre puissance
l’idée qu’il en concevait, nous refusâmes obstinément
le boeuf, à son grand dam.
Nous descendîmes le jour suivant dans la plaine de
Robbi, que coupe le ruisseau de Kobbo, et escaladâmes
un pic d’environ 200 mètres, qui supporte la ville de
Goudje Amba, où nous passâmes la nuit.
De Goudje Amba, qui n’est que l’extrémité d’un rameau
de la grande chaîne, nous suivîmes le dos d’une
arête, d’où nous dominions à droite et à gauche deux
vallées profondes: celle de l ’est, formée par les montagnes
de Mafoude d’un côté, et les montagnes de Molalé,
Abdilak, Ouaïto, Armani, Toukour Tchika de l’autre;
celle de l’ouest par les arêtes de Goudje Amba, et le
Dabo ouedek. La première est arrosée par le Zello ; la
seconde roule un torrent qui se jette dans la rivière
Robbi. A 11 heures, nous fîmes une halte sur un gradin
appelé Chôla Meda, dont le niveau est fort élevé : nous
étions dans un pays de Dega, et une brume épaisse nous
dérobait l ’horizon. A cette brume succéda bientôt une
pluie très-forte, qui nous obligea à dresser notre tente,
et qui dura jusqu’à trois heures. Nous montâmes alors
sur un autre gradin appelé Debra Sina, remarquable
par un mamelon en forme de calotte sphérique, et qui
est recouvert d’un bois tellement épais, que, de loin,
on dirait un seul arbre. Sur le sommet est bâtie une
église, dont la toiture ne se distingue des touffes d’arbres
que par la croix grecque qui la garnit. Dix minutes
tout au plus après avoir dépassé ce mamelon,
nous vînmes camper au village de Terma beur, où se
trouve un poste de douane.
Au moment de notre arrivée, la pluie cessa tout à
fait, les vents changèrent; et, avant que l’équilibre se
fût établi dans l’atmosphère, nous eûmes, pendant un
instant, sur le bord de l’escarpement où est bâti Terma
beur, des nuages aux pieds et sur la tête. Comme les
vapeurs remontaient alors des basses terres vers les
crêtes, nous pûmes distinguer d’abord les sommets de
Fassil Amba, ceux d’Outite et de Coumbi, dont les terrains
volcaniques sont traversés par des obélisques qui
se superposent, et parfois semblent contredire les lois
de la pesanteur en s’inclinant vers l’abîme sans paraître
tenir au sol. Toutes ces crêtes, si déchiquetées, revêtent
mille formes à mesure que les nuages les recouvrent,
et la chute du jour les dessine en silhouettes fantastiques.
Enfin la vue se démasque sous nos pieds mêmes, et
nous pouvons voir, à 300 mètres au-dessous du village,
le commencement de la vallée de Tchéno qui aboutit
à la plaine Adal : cette dernière produit, dans l’é lo i-
gnement, le même effet que ces longues grèves nues
et désertes, qui parfois, sur les côtes, succèdent à