3 8 • VOYAGE
promettaient leur concours. Tout paraissait donc favoriser
les projets d’Aréa, et son entrée dans le Tigré
semblait devoir être une marche triomphale.
L’armée s’arrêta sur les bords de la rivière Ouéri :
si, pendant l ’époque des pluies, un séjour y eût été
mortel, dans la saison où nous étions, nous pouvions y
stationner sans crainte. Le lendemain nous primes le
chemin d’Aoguer, à travers des pays montueux, et nous
vînmes camper, après quatre heures de route, non loin
de l’eau appelée Maye Meura, au pied de la montagne
Amba Saneyti, dans un endroit qu’on appelle Araga :
nous avions Aoguer à notre droite. Les hautes chaînes
qui entourent le pays d’Araga le préservent des vents
violents de l’e s t , et lui envoient quelques ruisseaux
qui le rendent on ne peut plus fertile; nous y vîmes
des cédrats doubles en grosseur de ceux de la Sicile.
Le 18, nous gravîmes la montagne d’Amba Saneyti
pour venir camper sur l’autre versant de la chaîne ,
dans une prairie du district de Dara. Plusieurs rameaux,
disposés en fer à cheval, entourent cette plaine
et lui fournissent chaque année, à l’époque des pluies,
des détritus qui forment un excellent engrais.
De prime abord les habitants firent mine de vouloir
se soustraire à la réquisition des vivres nécessaires à
l’armée ; mais le choum du district accepta les propositions
d’arrangement que lui üt Balgada Aréa, et les
soldats furent contenus dans leurs velléités de pillage.
Pendant que nous étions là , des députations du
clergé vinrent féliciter Balgada Aréa ; les debteras dansèrent
devant la tente, en adressant au ciel des actions
de grâces; ils appelèrent le jeune chef, le sauveur du
Tigré et la verge des Amaréens.
L’armée se dirigea ensuite sur le plateau d Enzate,
où elle attendit, pour faire son entrée dans Adoua, 1 arrivée
de quelques seigneurs de l’Agamé.
Le 23, elle avait établi ses tentes dans la prairie qui
avoisine la capitale du Tigré.
La population se porta au-devant de Balgada Aréa,
dont la parenté avec le ras Ouelda Sallassé lui rappelait
des souvenirs glorieux. Les acclamations ne le cédaient
en rien à celles qui, un an auparavant, avaient
salué Oubié et l’aboune ; car il est commun à tous les
peuples du monde de voir dans chaque changement
de gouvernement, le signal d’une ère nouvelle de pros-.
périté. Cette fois-ci, on se disait qu’enfin les sueurs
de la patrie ne nourriraient plus les étrangers ; que le
commandement était placé dans les mains d un homme
ménager des ressources de la patrie; que la joie, 1 abondance,
la liberté allaient renaître, etc., etc. Comme pour
justifier ces heureux présages, une pluie abondante
vint arroser la terre, et permettre l’ensemencement.
Mais pendant que Balgada Aréa est accueilli en
souverain dans le Tigré, un autre chef, dont nous
avons déjà parlé, Nebrid Ouelda Sallasse, tient son
camp près de la ville d’Axoum, et s’apprête à combattre
un rival qui vient lui disputer son propre terrain.
Une lutte, qui menace d’être sanglante, est sur le point
d’éclater ; mais les conseillers des deux partis parviennent
à amener une conciliation, en faisant observer
que, sauf à se débattre après, la présence