En tournant nos regards à l’e st, l’aspect était complètement
différent. Aux riches cultures de là vallée
galla avait succédé une plaine immense, d’une teinte
jaunâtre, triste et désolée comme le désert; elle n’est
cependant pas complètement dépourvue de végétation ;
de grands cours d’eau la traversent et la fertilisent sur
leur passage :1e district d’Angote en fournit u n , le
Koualima, qui va se jeter dans un lac voisin de la mer,
après avoir tourné au pied des mamelons qui ondulent
sur cette vaste surface.
A cinq heures du soir nous arrivâmes au village de
Serdja. D’après la hauteur barométrique que jè pris
a lo r s, le terrain en est élevé de 2 320 métrés au-dessus
du niveau de la mer. L’o rg e , le blé êt les légumes
tels que le pois, la lentille, les fèves y étaient en abondance.
On y trouvait encore, outre l ’olivier qui est
toujours commun à cette élévation, une espèce de saule
que nous n’avions jamais rencontré qu’un peu plus bas.
Il paraît qu’on n’était guère accoutumé dans ce pays
a v o ir des Européens; car on nous refusa l’entrée
dans une maison, parce que la maîtresse du logis et
ses enfants s’étaient effrayés à notre aspect. Le mari,
qui nous avait d’abord paru bien disposé, cédant aux
prières de sa famille, vint nous dire qu’il fallait nous
contenter d’une place dans le parc aux bestiaux. Pour
nous dédorûmager de cette impolitesse, on se hata
d’apporter à souper; mais comme les Abyssins, nos
domestiques, avaient été compris dans l’anathème
prononcé contre la couleur blanche, et qu’ils se
voyaient exposés à dormir en plein air sous ce climat
froid, ils refusèrent les vivres et lancèrent une
malédiction dont s’effrayèrent tellement- nos hôtes,
qu’ils aimèrent mieux, pour n ’en pas subir l’e ffe t,
coucher dehors et leur céder la place. Nos gens eurent
lieu de s’applaudir de cette manoeuvre, car le
lendemain à notre réveil le sol et les arbres étaient
entièrement couverts de gelée blanche.
Au moment où nous allions descendre du pays de
Serdja, plusieurs prêtres vinrent demander à nous parler
en secret. Apprenant qu’il s’agissait de médecine,
je laissai le champ libre au docteur Petit qui, tout mécontent
d’avoir couché au milieu des vaehes, était peu
disposé à prodiguer les bienfaits de son art, et paraissait
vouloir éluder toute demande à cet égard. Je l’engageai
cependant à ménager les habitants d’un pays
dans lequel il nous fallait voyager encore pendant quelques
jours, et il consentit à ouvrir sa consultation. La
première personne qui vint était une religieuse. Elle
demandait un préservatif contre le diable qui avait
coutume de la visiter chaque soir et l’entraînait au péché
malgré qu’elle en eût, et en dépit de neuvaines à
la Vierge et de plusieurs sommes d’argent données aux
debteras. Un prêtre lépreux lui succéda. Ses doigts
étaient tombés, il ne lui restait plus que des moignons :
celui-ci venait plein de foi vers M. Petit, croyant que le
contact seul de la robe doctorale le guérirait comme
le faisait celle du Christ. Notre docteur ne put s’empêcher
de le brusquer un peu : « ces gens-là ne croient-ils
p a s , me d isa it-il, que la médecine leur fera pousser
des pieds et des mains?» Le dernier qui se présenta fut