que c’était en faire un étrange abus que de le transformer
en un repaire de brigands.
Le droit de Balgada Aréa était positif, et s’appuyait
sur l’usage. En pareil cas, Oubié eût impérieusement
exigé l’expulsion des bandits; mais le jeune chef, se
croyant obligé d’agir avec plus de ménagement, se contenta
de la solliciter. Le clergé, imbu de sa force, ne voulut
faire aucune concession. La réponse d Aréa fut un
acte d’autorité ; il fit saisir les effets et les chevaux des
réfugiés, qui étaient restés dans la ville. Aussitôt les
prêtres lancèrent une excommunication qui interdisait
le pain et l’eau à Balgada Aréa, et suspendait l’obéissance
de ses soldats. La consternation se répandit dans
le camp, car, pour corroborer ses fulminations, 1 alaka
donna l’ordre de fermer l ’église, et défendit la communion.
Des processions eurent lieu pendant le jour pour
implorer la miséricorde divine ; toute la nuit, les prêtres,
enfermés dans une tente dressée sur la place même
du marché-, priaient la vierge Marie de vouloir bien
prendre l’église sous sa protection en dessillant les yeux
des princes dé la terre, dont l’aveuglement causait un
tel scandale.
Au bout de trois jours, Balgada Aréa, soit qu il craignît
l’effet de ces démonstrations sur ses troupes, soit
qu’en son for intérieur il se sentît ébranlé, se décida à
céder. Il rendit les effets confisqués; s’humilia devant
l’église, et à ce prix l’absolution lui fut accordée.
Ce fut encore le peuple qui paya les ‘frais^ de la
réconciliation, en un impôt consenti par l’alaka,
dont l’intérêt, en cette occasion, n’était pas : de
s ’y opposer, puisque, selon la règle, une moitié lui en
revenait.
En même temps qu’on s’occupait de recueillir cette
contribution, on négociait un arrangement avec Guébra
Rafaël. Ces affaires conclues, l’armée devait se porter
sur le Tigré. Je voulus profiter du laps de temps
qu’exigeait leur solution, et je demandai à Balgada
Aréa une escorte et un guide pour me conduire à la
plaine de Sel, qui est certes l’endroit le plus curieux
de toute l’Abyssinie. 11 m’adressa aussitôt à Ato Baraki,
dont la forteresse était voisine de la frontière Taltal, et
qui était en relation avec tous les chefs des tribus par
lesquelles je devais passer. Ce seigneur s’empressa de
satisfaire à mes désirs, et me donna pour m’accompagner
un de ses principaux officiers. Je fis sans délai
mes préparatifs de départ.
Mais aussitôt que mes gens furent instruits de mon
projet, ils furent saisis d’une grande terreur et refusèrent
de me suivre. Quatre seulement s’y résolurent,
ceux précisément sur lesquels j’aurais dû le moins
compter, à cause de leur âge et de leur peu d’habitude
du danger.