désordre et réveillé toutes les ambitions; quoique la
prompte délivrance du chef du Sémiène eût dû faire
ouvrir les yeux auxTigréens sur l’habileté profonde de
sa politique, les calculs des divers partis n’admettaient
plus la possibilité de son retour, et chacun ne s’inquiétait
que d’avoir la meilleure part à son héritage.
C’eût été, en effet, plus qu’une faute àOubié d’essayer
même de rentrer dans le Tigré en de pareilles
circonstances : quoiqu’il fût délivré de son frère,
Marso, il avait encore fort à faire à se maintenir dans
son propre p a y s , et Tédalé Haïlo, ce chef révolté du
Ouolkaïte, prolongeait la lutte. Le moral de l’armée du
Sémiène était encore sous le coup de la journée de
Débra Tabor, disposition dont on avait pu juger les
fâcheuses influences, dans toutes les rencontres qui
avaient eu lieu avec Marso, jusqu’à l’arrivée de Ras
Ali. Cette armée manquait absolument de cavalerie, et
d’armes pour les piétons; car Oubié n’avait pas eu le
temps de faire racheter sur les marchés gallas les fusils
qu’il avait perdus à Debra Tabor. Tout semblait devoir
faire une loi au chef du Sémiène de ramener la soumission
dans son pays, l’ordre dans son armée, avant
de songer à récupérer le Tigré, sa conquête, qui d’ailleurs,
comme on l’a vu , était en mesure de faire une
vigoureuse résistance.
Oubié jugea sainement qu’il en aurait meilleur march
é, quand la guerre intestine des divers prétendants
au pouvoir aurait épuisé les ressources du Tigré, et
lassé les populations. En attendant, il ne resta pas dans
le Sémiène, ne voulant pas laisser son armée à la
charge de son pays; il alla à la frontière du Ouolkaïte
mettre à contribution les tribus arabes qui lui sont
contiguës.
Le champ était donc libre devant les chefs tigréens,
et la question paraissait devoir se résoudre entre deux
concurrents, Balgada Aréa et le nébrid Ouelda Sal-
lassé : celui-ci avait déjà traversé le Taccazé, et ravageait
la province du Telemte, faisant partie du territoire
d’Oubié. De son côté, Aréa songeait à se mettre
en mouvement avec ses troupes afin de rattacher solidement
à son parti, de gré ou de force , les chefs dont
la foi était douteuse : le lendemain du jour où j ’arrivai
au camp, il comptait se mettre en route pour la province
du Sloa.
La bienveillance de ce seigneur me parut s’être accrue
avec sa fortune, chose rare. Dès que j ’entrai dans sa
tente , il me tendit la main et se leva pour me recevoir
; il me fit asseoir à ses côtés et causa familièrement
avec moi de mes affaires et des siennes. En m’annonçant
son intention de partir, il m’offrit de l’accompagner;
mais je ne voulus m’engager à rien avant
que mes compagnons fussent arrivés. Pour comble de
prévenances, comme il y avait pénurie de lits dans le
camp, il ne voulut pas que je couchasse autre part que
dans le sien, se contentant, pour lu i , d’un cuir étendu
par terre.
MM. Petit et Yignaud arrivèrent le lendemain à
onze heures du matin : ce n’avait pas été sans embarras
ni accidents. D’abord, notre ami le chalaka Ché-
koulabe avait été sur le point de piller nos bagages ,