de bonne politique de nous faire des amis : nous eûmes
lieu une heure après de reconnaître la justesse
de cette opinion. L’alaka, qui commandait à Mota au
nom de Ras Ali, nous fit dire que nous ne sortirions pas
de la ville sans lui faire un cadeau. Nous ne savions
que trop bien qu’il fallait en arriver là; mais en cédant
immédiatement nous courions risque de rendre l’ennemi
plus exigeant : nous répondîmes donc à l’alaka
qu’il n’entrait pas dans notre coutume d’en agir ainsi,
et q u e , plutôt que de courber la tête devant cet arbitraire,
nous allions envoyer demander un guide à Ras
Ali. En même temps nous fîmes appeler notre malade,
il vint et nous engagea à composer pour une faible
somme d’argent, seul moyen de ne pas nous susciter
une inimitié qui nous serait toujours fâcheuse.
11 nous proposa d’aller trouver l’alaka avec le douanier
pour arranger l’affaire; nous acceptâmes de grand
coeur, et nos deux plénipotentiaires partirent, nous laissant
fort inquiets de l’issue de leur démarche. Voici les
conditions qu’ils nous rapportèrent : L’alaka voulait
4 thalers pour lu i, 1 thaler pour le guide, et un turban
de mousseline, que nous lui enverrions de Gondar. Ces
conditions n’étaient pas trop onéreuses, et nous n’hésitâmes
pas à les accepter. Le samedi donc nous levâmes
le camp, et nous dirigeâmes vers le Nil.
Cette barrière, qui nous restait à franchir, pouvait
être considérée comme le terme de nos plus grands
dangers, et une assez petite distance nous en séparait
pour que nous pussions légitimement espérer, après
toutes les difficultés vaincues, de la dépasser sans
encombre. Et néanmoins nous étions, mon compagnon
et m o i, d’une tristesse inconcevable. En quittant
le Choa avec la perspective de tous ces pays
gallas à traverser, nous étions partis le coeur plus léger,
d’un pas plus allègre; à travers ce prisme grossissant
des obstacles sans nombre, la patrie nous envoyait
ses plus radieuses émanations ; et souvent, après
un de ces silences prolongés pendant lesquels 1 imagination,
sortant pour ainsi dire d’un corps endormi
par le pas monotone de la marche, franchit d une aile
ardente l’immensité de l’espace, et va s ébattre dans
un coin du monde où coquette un souvenir joyeux
ou tendre; après, dis-je, une de ces muettes extases
que l’amitié la plus verbeuse est toute surprise de voir
s’interposer entre deux coeurs qui n’ont qu eux seuls
pour so c ié té , un faux pas de la m u le , un accident de
la route nous ramenait, Petit et m o i, à la réalité du
moment; nous nous regardions alors, nous lisions
dans nos yeux la même p ensée, et le même mot,
sonore et doux à la fo is , sortait de notre bouche .
la France! Pourquoi donc, maintenant qu’un grand
pas nous avait rapprochés de cette patrie tant désirée
, pourquoi ne trouvions-nous plus aucune de
ces cordes joyeuses à faire vibrer? Les mots étaient
pourtant les mêmes, et chacun de nous cherchait
à en faire pénétrer la cordiale vigueur dans l’âme
abattue de l’autre : vains efforts! Nos coeurs ne pouvaient
alors que communier dans la tristesse ,
comme en d’autres circonstances ils 1 avaient fait dans
la jo ie , et nous marchions, malgré notre gaieté affec