traversâmes d’abord un bois de haute futaie, puis des
prairies marécageuses, puis enfin, pour la deuxième
fois, la Borkenna, auprès d’un village dont leshabitants
s attroupèrent pour nous voir défiler. Nous eûmes un
moment d’inquiétude ; je fis former un peloton des
hommes armés : rien n’arriva fort heureusement. Mais
vers le soir, presque sur le point d’arriver, un aigle
noir que nous n’avions pas dans notre collection, vint
planer au-dessus et nous fit oublier toute prudence :
un coup de fusil partit, l’aigle tomba ; mais mille échos
répétèrent la détonation, et un long cri d’alarme lui
répondit. Nous comprîmes le danger; nous voulûmes
hâter le pas; mais nos hommes, dont la plupart étaient
chargés, nos servantes dont les ronces avaient déchiré
les pieds , étaient exténués par cette route de douze
lieues faites au pas de course. Toute exhortation demeura
impuissante pour les faire avancer. Je sentais
cependant que mes jambes pressaient malgré moi le
ventre de ma mule, car l’ennemi accourait. Je descendis
et donnai ma monture à tour de rôle aux plus
fatigués. Je chargeai mon fusil à chevrotines, j ’en fis
faire autant aux fusiliers. Le docteur, qui depuis sa
maladie ne pouvait aller à p ie d , n’était pas déjà trop
solide sur sa mule; je l’engageai à marcher en avant,
mais il voulut rester à côté de moi à l’arrière-garde,
afin de partager les dangers s’il y en avait. Nous
fûmes bientôt serrés de près par une trentaine de cavaliers,
et nous en voyions venir d’autres à toute bride ;
mais nos fusils imposaient aux premiers, et ils attendaient
d’être plus nombreux pour nous attaquer. Nous
atteignîmes ainsi les premières collines de la frontière,
dans un endroit tellement boisé, que les cavaliers n’auraient
pu y pénétrer. Nous fîmes reposer un instant
notre monde, en ayant l’air de défier l’ennemi. Cependant,
en quelques minutes, il devint si nombreux, que
nous jugeâmes prudent d’envoyer les plus ingambes de
nos serviteurs chercher du secours dans un village chrétien,
que nous avions en vue à petite distance. Mais à ce
moment les Gallas tournèrent bride, et abandonnèrent
notre poursuite. C’est ainsi que nous échappâmes à ce
très-grand péril. Nous sûmes le lendemain que c’était
Beurou Lobo qui nous avait fait poursuivre, et que nous
eussions été rattrapés, et probablement massacrés, si,
au lieu de couper au plus court, nous eussions suivi
là route des caravanes.