cette foule, au risque de culbuter ceux qui ne se rangeaient
pas. Quant à moi, j’avais une monture qui
avait arpenté pendant deux ans les précipices de l’A -
byssinie, et son état ne me permettait pas d’espérer de
lui faire prendre le pas des mules royales ; aussi, sans
attendre le signal des nagarits, je m’étais joint à la
foule, et j ’avançais assez péniblement. Nous suivions
alors la direction S. 55° O. Au bout d’une demi-heure
de marche, nous laissions sur notre droite, à la distance
de 300 toises, le village de Tototchio; quelques minutes
après, nous passions à côté de Onabodera, ville
de l’Abagaze Ato Meretche, et nous apercevions, à trois
milles à l’O. N. O., le village de Mendida, remarquable
par un bouquet d’oliviers qui croît au sommet de la
colline à laquelle ses maisons sont adossées.
A dix heures le Roi nous rejoignit. J’allai le saluer,
et il me permit de marcher à côté de lu i, ce qui est la
marque du plus insigne honneur. Tous les ch efs,
à l’exception des deux Abagazes, se tenaient en arrière
à distance respectueuse, et guidaient leurs mouvements
sur celui du dais royal, porté par deux esclaves,
un de chaque côté de la mule royale. Il n’y avait
là qu’une seule volonté, celle du roi ; s’arrêtait-il, tout
s’arrêtait; marchait-il à p ied, tous descendaient de leurs
mules. A la question : où allez-vous? chacun répondait :
nous suivons notre maître partout où il ira. C’était
la première fois que j’entendais ce langage servile en
Abyssinie.
Quant à la discipline, il n’y en avait trace que dans
un seul corps, celui des gens de bouche. Ce corps était
divisé en plusieurs brigades, dont chacune avait un
chef; la première, celle qui jouit du plus de considération,
pour laquelle on a plus d’égards même que pour
les princes du sang, et qui se tient toujours très-près du
roi, est la brigade des cuisinières. Montées à mules et
gardant les rangs, elles sont dirigées dans leurs mouvements
par un eunuque, qui a reçu dès le matin les
ordres de Sa Majesté : une garde empêche qu’on ne se
mêle à elles ou qu’on ne les approche. C’est à l’habillement
de ce corps que le roi a déployé son plus grand
luxe : chaque cuisinière a des boucles d’oreille, dont
on peut se faire une idée en supposant deux chapeaux
chinois d’un pouce de long, qui se réuniraient par leurs
bases; elles ont en outre des bracelets d’argent aux
bras et aux pieds ; une longue chaîne en argent, ornée
de plaques ciselées, est pendue à leur cou. Tout le reste
du costume est à l’avenant, et annonce que la préparation
de ses mets royaux n’est pas le seul service que Sa-
helé Sallassé réclame de ce corps privilégié.
Après la brigade des cuisinières venait, à quelque
distance en arrière, celle des sommeliers, commandée
par Ato Sertol, notre maître de parole : son embon-r
point, sa figure ronde et réjouie, en faisaient un digne
chef de la partie gastronomique. On le voyait, sur sa
mule, la bouche couverte de sa toile, s’avancer à la tête
de sa division, entre deux bouquets de bouteilles suspendues
à des bâtons. C’était là la m eilleure place qu’un
étranger pût choisir pour ne pas être foulé; car force
coups de cravache étaient distribués au vulgaire assez
o^é pour s’approcher desdites bouteilles. Les chefs en