chions enfin à la dernière période de nos longs travaux.
Vers le soir, nos g en s, comme pour nous témoigner la
part qu ils prenaient à notre bonne humeur, vinrent
danser sous nos yeux et nous adresser des compliments
de félicitation. L’heure du repos étant venue, chacun
de nous se roula dans sa toile et s’apprêta à dormir;
mais notre hote y mit bon ordre. Il commença à haute
voix ses litanies à Mahomet, et les continua pendant
deux heures, prenant de temps à autre quelques tasses
de café pour s’empêcher de tomber de sommeil. Il se
coucha enfin, mais il se releva à quatre heures du matin
pour recommencer de plus belle. Depuis près d’un
mois que M. Petit était la, c était tous les jours la même
musique ; il avait fini par s’y habituer, et dormait en
dépit de Mahomet. Ce zèle exagéré de son hôte trouvait,
disait-il, une compensation dans sa parfaite
bonté. 11 en avait donné une grande preuve en cédant
à M. Petit et à ses quinze hommes la moitié de la seule
chambre qu’il eût pour lu i, sa femme et ses enfants.
Le lendemain fut le 1 "janvier \ 843. M. Petit et moi
nous souhaitâmes mutuellement la bonne année. Mon
compagnon, ordinairement mélancolique depuis sa
longue maladie, était ce jour-là plein d’espérance et
de gaieté. Nous pensâmes qu’à un an de là nous pourrions
revoir le sol natal et embrasser nos amis.
Cette idée nous fit encore hâter notre travail, et nous
nous préparâmes à quitter l’Achangui. Je relevai le lac
à la planchette. Une chose remarquable, c’est que personne
n ose s y baigner, quoique l’eau en paraisse fort
tranquille : la superstition populaire le dit habité par
des Djines, qui attirent au fond les imprudents qui s’y
exposent. Peut-être, dans le fait, y a-t-il des tourbillons
qui font l’office des démons ; ou bien les eaux sont-
elles malsaines : mais il faut une raison puissante pour
empêcher les Abyssins de se baigner; car ils aiment
beaucoup cet exercice, et les gens qui habitent les
alentours du lac Tsana y excellent. Il n’est pas moins
singulier qu’on ne pêche pas dans le lac Achangui,
tandis qu’on pêche beaucoup dans le lac Aïque et dans
les autres : on nous en donna pour cause, à M. Petit
et à moi, l’absence complète de poisson; mais j ’en
ai pris moi-même, et le manque d’alcool m’a seul empêché
de les conserver. Nous les avons dessinés pour
en faire connaître l’espèce.
Le 2 janvier nous reçûmes une nouvelle qui compliquait
les difficultés de notre voyage. Le dedjaz Aligas
Farès venait d’être vaincu et fait prisonnier par Marso :
le soldat qui nous en instruisit était celui-là même que
Farès nous avait envoyé pour nous servir de guide et
nous amener vers lui. Les pays que nous allions avoir
à traverser étaient donc désormais sans gouvernements
et livrés a tous les désordres d’une guerre de partisans
Nous espérions encore que la nouvelle serait fausse ;
mais, le lendemain, elle nous fut confirmée avec des détails
assez extraordinaires. Marso, le vainqueur au nom
de Ras Ali, avait été enchaîné par celui-ci, qui, pour la
seconde fois vis-à-vis Marso, se montrait allié perfide.
On se rappelle qu’à l’époque où Ras Ali vint
au secours d’Oubié contre Marso, son o n c le , Aligas
Farès, leva l’étendard de la révolte. Bientôt traqué B 9