un soldat qu’on nous dit jouir d’une grande considération
dans le pays. Il n’était point malade lui-meme,
mais voulait nous emmener à sa maison de campagne,
où sa soeur, malade depuis deux ans, était sur le point
de mourir. « Votre arrivée, dit le soldat, a fait renaitré
l’espérance dans mon coeur, car j’avais entendu parler
des blancs et je savais que Dieu leur a donné la science.
Je m’adresse donc à vous avec la conviction que vous
êtes des hommes supérieurs, et j’implore votre amitié
en retour de la mienne et de celle de ma famille. Après
un long voyage dans les montagnes, vos mules succomberaient
à la fatigue, si vous ne leur donniez un
peu de répit. Aux alentours de ma maison elles trouveront
des prairies qui leur rendront la vigueur. Si vous
êtes venus pour connaître notre p a y s, vous rencontrerez
chez moi des hommes qui vous donneront les
meilleurs renseignements; car ce sont tous chefs de
la province qui, demain, se rendront a mon invitation
pour assister au banquet de funérailles de mon père.»
M. Petit vint me consulter à ce sujet. La demeure
de ce soldat était dans une plaine située au milieu d’un
bassin formé par la chaîne du Ouadela et la montagne
d’Enade : nous pouvions estimer d’avance le niveau
absolu de cette plaine à 2 000 mètres; c’est-à-dire
qu’elle appartenait à une des zones les plus riches en
végétation. D’un autre côté, il était très-important de
bien fixer la position de cette frontière de la province
Yedjou. Nous fîmes donc réponse au soldat que nous
consentions à aller voir sa soeur, mais que le docteur
craignait bien d’avoir affaire à une maladie déjà trop
avancée pour qu’il fût au pouvoir de l’homme de la
guérir.
En route, nous demandâmes à notre guide le nom du
district où nous allions : « Il se nomme Sanka, nous
dit-il, et c’est un des plus beaux de la province. Voyez
tous ces torrents qui tombent de marche en marche
des hautes montagnes environnantes pour arroser la
plaine en tous sens et la fertiliser. Il n’existe pas dans
toute l’Ethiopie d’aussi bons pâturages que ceux-ci :
aussi les mules yedjous sonkelles réputées dans toute
l’Abyssinie pour leur vigueur et leur beauté.
A mesure que nous nous approchions de cette vallée,
les espèces d’arbres et de céréales changeaient; les oliviers
et lés genévriers avaient fait place aux mimoses;
à l’orge et au dagoussa succédaient le blé et le theff :
nous ne voyions plus planer l’aigle, si commun dans le
pays que nous avions traversé la veille; mais nous
apercevions voltiger de nombreuses variétés de colibris
et de paradisiers : les gazelles et les civettes coupaient à
chaque instant notre route. C’était un tout autre spectacle,
plus riche, plus fécond, plus clément. Au milieu
de la vallée nous passâmes la rivière Guembora, qui,
à une lieue .plus bas, s’appelle Ala, du même nom que
le district qu’elle traverse. Nous étions alors parvenus au
territoire de Sanka; tous les villages étaient placés en
amphithéâtre sur les gradins inférieurs de la chaîne : on
voyait très-peu d’habitations dans la plaine, que l’humidité
rend sans doute malsaine. Ici comme dans les
pays de Kolla, les laboureurs descendent le matin travailler
à leurs champs, et remontent le soir coucher sur