Vers le milieu du mois de juillet suivant je tentai une nouvelle expérience
avec une plante dont on m’avait vanté l’efficacité. C’est une fleur
que l’on épluche et que l’on prépare comme le kosso, en la broyant,
avec de l’eau et la délayant dans de l’eau miellée. Cette potion n’a pas
de goût désagréable; elle a une simple saveur herbacée qui ne persiste
ni ne revient ; mais par contre elle produisit .sur moi des accidents assez
sérieux qui me firent bien jurer de n’en reprendre jamais. A peine
avais-je avalé cette drogue que j’éprouvai une chaleur atroce dans
l’estomac, et bientôt une faiblesse générale, portée presque jusqu’à défaillance
, des sueurs et un crachotement continuel. Deux selles eurent
lieu, et dans la seconde, qui survint vers le midi (j’avais bu la médecine
à cinq heures du matin), j’expulsai seulement quelques fragments
de tænia. L’état de faiblesse continua pendant toute la journée, accompagné
de battements de coeur violents, de fréquence du pouls avec chaleur
à la peau. La nuit se passa sans sommeil et dans un état de malaise très-
grand qui se continua pendant toute la journée du lendemain. Je ne
rendis aucun fragment de tænia, et la fièvre ne se dissipa que le troisième
jour.
. Le mauvais succès de ce dernier moyen m’empêcha d’y recourir par
la suite, et j’eus désormais recours pour moi et mes compagnons à
l’écorce de racine de grenadier ; l’emploi de cet anthelminthique est trop
commun en France pour que j ’y insiste ici ; je noterai seulement que la
décoction doit être faite avec la racine fraîche. Cette médication est
employée dans le pays ; mais malgré son incontestable efficacité, elle
ne jouit pas de la même vogue que le kosso.
Une affection très-commune en Abyssinie c’est la lèpre ou éléphan-
tiasis des Grecs. Cette maladie se trouve décrite partout. Je n’ai rien
à en dire qui ne soit connu de tous les médecins et détaillé tout au
long dans nos dermatologies ; je ne puis que joindre ma voix à celles
qui proclament l’incurabilité de cette affreuse maladie quand elle est
arrivée à sa seconde période. Le vitiligo n’est pas rare chez les Abyssins
de même que chez les autres peuples noirs ou d’origine noire. Il
n’y a non plus rien de particulier à noter et qui ne rentre dans ce que
l’on sait sur cette question.
DE LA MÉDECINE ABYSSINE.
Ce que nous venons de dire relativement à l’emploi fait par les indigènes
de différentes substances contre le ver solitaire nous conduit tout
naturellement à parler de la manière dont la médecine est pratiquée par
eux. Nous laisserons de côté les cérémonies superstitieuses, les incantations
, les exorcismes, pour ne nous occuper que des procédés réellement
utiles et rationnels; je serai cependant bien obligé de citer quelques
usages ridicules qui s’y trouvent si souvent mêlés.
La variole, qu’elle soit ou non originaire de l’Abyssinie, y est en réalité
répandue comme elle l’était chez nous avant l’admirable découverte
de Jenner : les indigènes n’ont d’autres moyens prophylactiques que
l’inoculation, qui se pratique souvent par ordre des chefs. Ainsi, lors
d’une épidémie assez grave, j ’ai vu Oubié prescrire cette mesure d’une
manière générale pour toute la contrée. L’inoculation se pratique de la
manière suivante : on fait un pli à la peau de la partie inférieure et
antérieure de l’avant-bras, à quatre travers de doigt au-dessus du poignet,
et avec un rasoir on pratique une incision d’un pouce de longueur
environ. Alors on introduit dans celle-ci le virus au moyen d’un petit
bâton soi-disant magique, l’on recouvre la plaie avec un bandage circulaire.
Quoique la variole inoculée soit ordinairement bénigne et discrète
comme tous les médecins le savent, il n’est pas moins vrai qu’elle
peut être confluente, altérer profondément les traits de la face, faire
perdre la vue et même causer la mort. Aussi dois-je regretter bien amèrement
de n’avoir pu obtenir de bonnes vaccines. Quel immense service
j ’aurais rendu à ces malheureuses populations si souvent décimées par
les épidémies ! t ,
Quant au traitement de la variole, il est bien différent de celui qui
est adopté par les médecins européens. Les Abyssins pensent qu’il faut
manger et boire comme de coutume pendant tout le temps de la maladie,
et même que plus la nourriture est succulente, plus l’affection sera
bénigne et moins elle laissera de traces. Pour empêcher celle-ci, ils regardent
comme très-avantageux de boire tous les matins, pendant une
huitaine de jours, un verre de beurre fondu. Enfin, après guérison, ils
se lavent douze jours de suite à la rivière, puis ils se rasent la tête, sont
réputés impurs , et restent ainsi quelque temps avant de pouvoir se
mêler aux fêtes, aux danses et aux diverses réunions.
On sait que dans certaines contrées de l’Orient les médecins indigènes
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