trouvant que les cadeaux que nous destinions à
Aréa, qu’il n’aimait pas, lui auraient, mieux convenu
à lui. En route, M. Yignaud avait couru un danger,
dont il était encore tout ému : sa mule s’était abattue
sur la pente escarpée d’une montagne , et avait roulé
avec lui jusqu’au bord d’un précipice : un tour de
p lu s , et il tombait à mille mètres plus bas. Le docteur
le fit mettre au lit en arrivant, et ne l’en laissa pas
sortir de quinze jours.
Nous décidâmes que j ’accompagnerais Aréa, tandis
que M. Petit irait herboriser à la frontière des Taltals ;
comme Aréa partait le jour même et que mes préparatifs
n’étaient pas encore fa its, il me laissa un guide
pour le rejoindre.
Je me mis en route le lendemain à six heures, en
côtoyant le ruisseau appelé Maye Alecti, dans la direction
du sud sud-ouest. Deux heures après je descendis
dans la vallée d’Aïkamessal qui, d’un côté, conduit au
pays Taltal (certains marchands prennent ce chemin
pour se rendre à la plaine de S e l), de l’autre, aboutit à
la plaine de Berki : un ruisseau longe la chaîne qui limite
cette plaine au sud , et sur ses bords s’élève en
amphithéâtre la ville d’Aïkamessal, qui est adossée aux
montagnes. La richesse de ce pays dépend non-seulement
de ses récoltes, mais encore de son voisinage de
la plaine de Sel. Le choum de la ville , Balgada Deresso,
l’un des principaux officiers d’Aréa, me fit un accueil
des plus gracieux, en retour duquel je voulus lui faire
donner un sabre ; mais il refusa, disant qu’il n’avait
pas assez fait pour un pareil cadeau.
Au sortir d’Aïkamessal, j ’entrai dans la vallée d’A -
goula, qui sépare le district de Tera de la province de
Ouomberta. A Une lieue plus bas, cette vallée s’élargit
et forme un grand et riche bassin qui prend le nom de
plaine de Berki : le ras Ouelda Sallassé y faisait souvent
camper sa cavalerie, et on y voit encore les ruines
d’une grande maison édifiée par ce prince. Ayant traversé
la rivière d’Agoula, je montai sur le plateau de
Ouomberta, qui me parut fertile, quoique je n’y visse
que fort peu de villages. Je passai ensuite la rivière
Ouabi, et quatre heures après j ’entrai dans la province
de Dessa. Je trouvai Balgada Aréa campé dans la vallée
de Faleg Daro, qui est la propriété de son p è r e , le
dedjaz Demtou.
Le jeune chef tigréen me charma encore par sa conversation
pleine de laisser aller et de fins aperçus;
néanmoins, chaque fois que je voulais aborder le chapitre
des affaires politiques, je voyais percer une vague
inquiétude dans sa parole. Je lui en demandai le motif
avec une instance qui aurait pu passer pour de l’indiscrétion
aux yeux d’un homme plus réservé; mais Aréa,
en ne sachant pas y résister, me découvrit d’abord un
coté faible de son caractère, puis un second, qui était
l’indécision ou ce manque de confiance absolue en soi-
même, souvent compatible avec un amour-propre exagéré.
Quoique Area se dissimulât, dans le fond, qu’il
eut accepté un fardeau au-dessus de ses forces en voulant
tenir tete à Oubié, il n’était pas étranger aux
craintes que pouvait légitimement donner l’astuce reconnue
de celui-ci ; mais il ne s’exprimait, à cet égard,