en face d’une nombreuse armée ennemie, il croyait encore
commander sans rivaux comme au camp d’Adoua.
Il ne pouvait ignorer cependant que la mort l’attendait
s’il était fait prisonnier.
Il m’exprima néanmoins le regret d avoir, suivant
les conseils d’Ato Baraki, dispersé son armée ; car maintenante
il craignait que l’ennemi ne voulûtpas s’engager
dans les montagnes de l ’Agamé, où il aurait pu 1 inquiéter.
Jusque-là Oubié avait eu grand soin de se tenir
toujours en plaine. La famine et les pluies d hiver pouvaient
seules servir la cause d’Aréa ; mais il était à
redouter que les seigneurs tigréens, en passant à l’ennemi
, ne lui fournissent les moyens de subsister. « Si
cela arrive, me dit Aréa, je n aurai plus d autre ressource
que celle de me réfugier chez les Azébo Gallas,
et d’y attendre le cours des événements. Heureusement
je suis jeune, et c’est le seul avantage réel que j aie
sur mon adversaire. »
Je donnai à Aréa le conseil de faire la paix avec
Oubié. « Les mauvaises phases que vous avez eues à
traverser, lui dis-je, ont fait détester votre administration;
des conseillers pernicieux vous ont excité à
des actes iniques; attendez que la force des choses
contraigne à son tour Oubié à employer l’arbitraire :
on oubliera alors vos fautes pour ne penser qu’à celles
de l’étranger. Continuez d’ailleurs d’être l’ami des Européens,
non à la manière d’Oubié, pour en recevoir
des fusils et quelques curiosités, mais loyalement,
parce qu’avec leur appui vous arriverez sans aucun
doute à gouverner toute l’Abyssinie. Ce n’est que par
des relations loyales qu’il vous sera permis d’introduire
chez vos compatriotes ces arts et cette industrie que
vous aimez tant. Gardez-vous de témoigner aux étrangers
une méfiance inspirée par la crainte qu’ils ne
veuillent envahir votre sol, non pas que la chose soit
improbable; mais si elle est résolue, vous ne pourrez
l’empêcher. Aujourd’hui qu’on sait votre pays sain
et fertile, et qu’on n’ignore pas qu’il est la clef de
l’intérieur de l’Afrique, une nation européenne doit
d’un jour à l’autre, peut-être bientôt, occuper l’A-
byssinie. Tirez parti de la circonstance pour vous-
même ; mettez-vous bien avec les conquérants, qui
vous feront grand aussitôt qu’ils verront en vous un
instrument fidèle et utile. Songez d’ailleurs que votre
pays ne saurait se relever de l’anarchie que par la
tutelle d’un peuple plus éclairé. Ne regrettez pas les
lisières, puisque vous ne sauriez marcher seul. »
Balgada Aréa me promit de suivre mes conseils.
Je sus par la suite qu’il en avait été empêché par
Ato Baraki, auquel Oubié ne voulait accorder ni grâce
ni merci, tandis que Balgada Aréa, dans ses offres de
soumission, réclamait pour lui le bénéfice d’une complète
amnistie.
Quant à ce qui était de nos effets, il envoya un de
ses officiers, nommé Ato Ouorké, un parent des deux
pillards, leur intimer l’ordre de me les rendre sur-
le-champ, et en toute intégrité, sous peine d’être traités
en ennemis.
Je revins à Tchéleukot, où M. Vignaud m’attendait
dans l’impatience de connaître les résultats de ma