le jeune Aïlo, venait d’être arrêté sur la place du
marché de Sanka, et que M. Petit avait passé outre,
pensant qu’il serait en tous cas facile de faire relâcher
son domestique, tandis que ce pouvait être un piège
pour amener une dispute d’où fût née l’occasion de
le piller. Je ne pus que louer cette prudence de mon
collègue; néanmoins j’éprouvais une certaine inquiétude
sur le sort d’Aïlo, lorsque je rencontrai notre
hôte de la veille , le frère de la malade. Je lui contai
l ’h isto ir e, et il m’offrit ses serv ic es, me disant que ce
ne pouvait être qu’une plaisanterie que sa présence
allait faire cesser; puis il piqua des deux et partit
au galop vers la place du marché. Je vis presque en
même temps arriver le docteur, furieux de son aventure
et maudissant l’Abyssinie et les Abyssins, Fort
heureusement nous ne tardâmes pas à etre complètement
rassurés : un quart d’heure s’était à peine écoulé
que nous fûmes rejoints par Aïlo en personne qui nous
donna le mot de l’énigme.
Il paraît que M. Petit avait manqué à une coutume
du pays en passant au milieu de plusieurs chefs assemblés
sans s’arrêter pour les saluer : irrités de cette impolitesse,
d’autant plus sensible qu’elle venait de la
part d’un blanc, ceux-ci avaient retenu son serviteur
pour le forcer à rétrograder et à faire amende honorable.
Nous avons vu que M. Petit avait passé outre : ils
voulurent alors envoyer des soldats pour le ramener;
mais la présence d’esprit d’Aïlo sauva à M, Petit cette
humiliation, qui, avec le caractère du docteur, aurait
pu dégénérer en scène très-désagréable. 11 s’écria tout
aussitôt que l’homme blanc ne savait ni la langue ni
les usages d’Ethiopie ; que c’était d’ailleurs un frère
de l’aboune, et que bien loin de l’arrêter, on lui devait
des excuses pour ne lui avoir pas rendu les honneurs
dus à son rang. Cette petite fourberie eut tout le succès
possible ; on relâcha notre Scapin moricaud, qui ne
se fit pas dire deux fois l’ordre de venir nous rejoindre.
Nous nous remîmes en route au grand complet, et
bientôt nous atteignîmes le territoire d’Ala, qui occupe
un bassin circulaire d’environ trois milles de diamètre.
Les villages de ce district sont bâtis sur les sommets
de mamelons boisés, ce qui produit des sites admirables.
La p la in e , ordinairement couverte d’un theff de
belle qualité, était alors la proie des sauterelles; de
distance en distance on les voyait s’élever de terre par
petites nuées, qui produisaient le même effet que la
fumée des racines lorsqu’on les brûle avant d’ensemencer.
C’est dans le village de Guedau, au pied duquel
coule la rivière Tokour Ouanze, que nous fîmes halte
pour la nuit. Un soldat d’Aligas Farès nous offrit l’hospitalité
avec cette cordiale franchise des gens de guerre,
qui rend toujours la forme accessoire du fond. Ses
dernières campagnes l’avaient, nous d it-il, ruiné, et le
mettaient dans l’impossibilité de nous obliger de ses
propres deniers; mais il ne manquait pas d’amis qu’il
allait, pour nous, mettre à contribution. Il n’y manqua
pas en effet, et dans le fait de cet homme usant
peut-être de son extrême ressource en notre faveur,