eûmes la visite du moufti, qui nous pria de faire retirer
tout le monde, parce qu’il désirait nous parler en secret.
Cette demande octroyée, il passa la tête hors de
la tente pour s’assurer que personne n’était aux écoutes.
Il s’assit alors, et nous dit qu’il avait ouï vanter la
science des blan cs, et qu’il ne doutait pas que nous
ne fussions en état de lui rendre le service qu’il venait
nous demander, nous promettant en échange toute sa
bonne volonté. Nous acquiesçâmes à cette proposition, et
M. Petit lui demanda s’il avait quelque maladie. «Non,
répondit le moufti, j’ai seulement un ennemi qui me
poursuit sans relâche : je n’ai pas une minute de repos.
Il y a peu de temps que je suis moufti; celui que j’ai
supplanté a juré de détruire toute ma fam ille, et déjà
mon frère a perdu un cheval dans une rencontre avec
lu i. Je voudrais que vous m’écrivissiez sur un papier
quelques mots qui ôtassent tout pouvoir à mon ennemi,
et pour ce, je donnerais volontiers ma meilleure
mule. « Quoique l’offre fût séduisante, nous déclinâmes
nécessairement notre compétence : le docteur
ne put que lui offrir les secours de son art, s’il arrivait
à être malade du fait de son ennemi. Nous nous
séparâmes bons amis, promettant au moufti le secret
sur sa démarche, afin de ne pas compromettre, aux
yeux des croyants, la valeur des amulettes qu’il leur délivrait
lui-même pour de l’argent comptant. Cette visite
eut l’avantage de nous donner une grande importance
dans ce pays ; car les habitants n’abordaient jamais
leur moufti qu’en lui baisant ses sandales, et celui-ci
s’étaitmontréànotre égard d’une obséquiosité évidente.
De ce v illa g e , qui avait nom Ouarteille, nous apercevions
au sud la source de la rivière Méllé, près du
marché de Seleulah, sur une des rampes les plus élevées
de l’Amba Sel. Nous distinguions aussi le pic de
Ouaré Babo, qui dominetous les sommets des montagnes
du bassin d’Aïk. Les plus rapprochées, celles qui en
formaient la bordure occidentale, nous parurent être
à deux milles environ. Le lendemain, en quittant notre
campement, nous entrons dans une prairie qu’arrose
le ruisseau de Katti, un des affluents du Méllé ; nous
gravissons quelques monticules, et nous trouvons au
sommet le village de Mariam Debeur. A quelques centaines
de mètres plus bas 1 se déploie le lac Aïk ; tout
près du bord est la jolie petite île de Stéphanos, qui
ressemble à un jardin de plaisance. Parmi les arbres
dont elle est pleine, on distingue les toitures coniques
des chaumières et celle de l’église, qui ne diffère des
autres que par son élévation et la croix grecque, garnie
d’oeufs d’autruche, qui en forme le faîte. Généralement
les bords du lac sont abrupts ; mais à son extrémité
sud on aperçoit une prairie. Nous déposâmes nos bagages
à Mariam Debeur, et nous descendîmes la pente
rapide qui conduit au lac. Plusieurs moines étaient
sur les bords, qui attendaient le retour du radeau pour
aborder à l’île. Nous les priâmes' de nous annoncer au
supérieur du couvent, et de lui demander pour nous
la permission d’aller lui rendre une visite.
En attendant la réponse, je pris la hauteur méridienne
du so le il, et le docteur Petit mit sa science
archéologique à une rude épreuve, en cherchant à de