introduire, nous et nos m ules, dans la maison de la cure.
Nous fûmes bientôt assaillis d’une foule de cnrieux qui
nous tourmentaient autant de leurs regards que de
leurs questions. Parmi eux étaient un grand nombre
de lépreux qui étalaient, sans la moindre vergogne, . D u '
leurs plaies hideuses. Nous ne pûmes y tenir ; nous
préférâmes toute 1 ardeur du soleil à un pareil spectacle.
Fort heureusement, un domestique du gouverneur
vint nous chercher pour nous conduire dans une
maison où nous devions être seuls. Nous le suivîmes
dans un labyrinthe de rues étroites, avec une queue de
plus de mille mendiants, auprès desquels les ribauds
et les ladres de la cour des Miracles eussent été des petits
maîtres. En arrivant nous nous reposâmes un instant
à la fraîcheur ; nous retournâmes ensuite à l’église
pour visiter la bibliothèque : elle se composait d’environ
cinq cents volumes entassés dans une chambre ;
tous traitaient de religion, sauf quelques-uns qui donnaient
la chronique des rois. Nous demandâmes s’il se
trouvait parmi eux des livres de médeeine; à cette
question le memeurié parut fort scandalisé : «S’il s’en
trouvait un s e u l, me dit-il avec vivacité, nous le brûlerions.
Que sont tous les remèdes humains auprès des
miracles de notre grand saint patron, Técla Émanout! »
On voulut bien nous lire quelques passages de la vie
de ce saint, qui provenait d’un père européen et d’une
femme de Gondar. Il commença ses miracles à deux
ans : le récit n’en occupe pas moins de deux volumes.
Un jour les infidèles le précipitèrent dans un abîme ;
mais il lui poussa immédiatement des ailes, avec lesquelles
il put s’envoler jusqu’aux plaines gallas, dont
les populations l’accueillirent avec enthousiasme, et se
convertirent spontanément au christianisme.
Nous passâmes la nuit à Técla Émanout. Le lendemain,
avant que le soleil parût sur l’horizon, nous
cheminâmes, suivis d’une foule de malades, dans un
sentier qui conduit au fond du ravin, sur le bord du
ruisseau des purifications. Tout près de là est une petite
ville appelée Kora, ornée d’une église taillée dans
le r o c , dont je donne le plan dans la partie archéologique.
Au-dessous de cette ég lise, dans les grandes
masses de grès qui forment sa base, se trouvent des cavernes
troglodytes. Il n’était si pauvre hère, qui passât
devant le couvent sans y laisser son offrande. Nous
allâmes faire une visite au supérieur et lui donnâmes
la nôtre, c’est-à-dire un vieux cachemire qu’en retirant
de ma ceinture je craignis fort de me voir refuser :
mais c’était la seule chose que je pusse offrir. A notre
surprise, le cadeau fut reçu avec jubilation; car les
moines espéraient autre chose de notre condescendance
: ils nous demandèrent de constater dans notre
journal l’authenticité d’un double miracle dont il s était
bien peu fallu que nous ne fussions témoins : Técla
Émanout venait de rendre la parole à deux muets, une
heure avant notre arrivée ; et ce léger défaut dans la
forme ne pouvait, nous dit-on, nous empêcher d’en
colporter la nouvelle à Gondar. Nous répondîmes que
notre intention était de rapporter tout ce que nous
avions vu, et qu’à cet égard le chapitre de Kora pouvait
se fier à nous. Nous montâmes à Técla Émanout,