giné trouver un pays riche et bien organisé, tout prêt
à lui fournir une substance abondante; c’est donc par
la famine qu’il nous faut le combattre; c’est en transformant
notre pays en un désert que nous parviendrons
à le vaincre. J’ai dit. »
Ato Agaze se leva alors, et parla en ces termes : « Ti-
gréens, avez-vous donc oublié qu’il n’est aucun d’entre
vous dont le père, le frère, ou quelque parent, n’ait été
mutilé par ordre d’Oubié ? N’avez-vous plus mémoire
de vos mères, de vos soeurs, prostituées aux soldats du
Sémiène; et ne vous rappelez-vous plus le taux auquel
leur chef avait estimé l’honneur d’un Tigréen : un morceau
de sel? Raillerie, outrage, torture, cet homme
ne vous a - t - i l pas fait tout souffrir? Et le moins
offensé de vous tous, en voyant manger par l’étranger
le pain qui manquait à ses enfants , n’a-t-il pas senti
son coeur se soulever d’indignation? Eh bien, le moment
est venu de lui faire payer tous nos malheurs !
L’ennemi, dites-vous, est en nombre double du nôtre;
mais si chacun de vous a une soif de vengeance égale
à la mienne, il ne trouvera pas que le sang de deux
Amaréens soit suffisant pour l’apaiser. Au lieu de
rester là tremblants, et de craindre la trahison, dites
à vos soldats que c’est pour leur indépendance qu’ils
combattent, et je jure que pas un ne reculera!
aujourd’hui vous voulez fuir! et que signifiaient
donc ces splendides banquets d’Adoua, où le paysan
tigréen vous prodiguait son hydromel? A quoi vous
servait alors de provoquer Oubié au combat? n’étiez-
vous bons qu’à parler comme des femmes, et à piller
comme des bandits? Si nous avons ruiné le Tigré,
sachons au moins le défendre; n’oublions pas que
nous sommes de la race de Ouelda Sallassé et de Se-
bagadis. Quoi que le conseil en décide, je resterai ici,
et ne reculerai p a s , alors même que toute l’armée
m’abandonnerait. »
Ces chaleureuses paroles n’eurent aucun écho dans
le conseil, et l’avis de Baraki prévalut. Peu de temps
après on nous apprit que l’armée de Balgada Aréa
avait disparu comme par enchantement devant celle
d’Oubié, au point que c e lu i-c i, redoutant quelque
embûche, n’osait pas s’avancer, et ne s’empara de la
province entière du Sloa que lorsqu’il eut reconnu que
tous les chemins lui étaient ouverts.
Cependant un autre courrier nous annonça qu’Aréa,
après avoir renvoyé tous les étrangers qui étaient
dans son camp, s’était posté à Makelié, où il n’attendait
qu’une occasion favorable pour commencer les
hostilités.
Du r e ste , les instructions d’Ato Baraki avaient été
suivies de point en point; l’ennemi n’avait conquis
qu’un désert. Oubié reprit haleine dans la plaine
de Saharte. Il donna les ordres les plus sévères pour
que les soldats ne s’écartassent pas du camp et ne commissent
pas le moindre désordre : l’armée vécut péniblement
des contributions volontaires. Quant à lu i ,
il étala encore plus de somptuosité qu’autrefois; il
voulait effacer aux yeux des populations jusqu’à la
moindre trace du désastre de Debra Tabor. Il comptait
aussi sur l’effet du contraste que produirait sa ma