courir les chances du voyage, e t, sans en prévenir
personne, pas même notre ami le debtera, de crainte
des empêchements, nous nous mîmes en route un
beau matin pour la ville de Debra Ouerk. Nous comptions
trouver là quelques indications pour nous diriger
ultérieurement. Cependant le debtera fut averti
de notre départ : au moment où nous montions à
mule, nous le vîmes arriver de l’air le plus affligé du
monde, nous demandant quel sujet de méfiance il
nous avait donné pour nous être ainsi cachés de lui:
« J aurais p u , nous d it -il, vous aider de mes con se ils,
et peut-être vous accompagner. Allez donc, puisque
vous y êtes résolus ; que Dieu protège votre voyage,
et ne m’oubliez p a s , car je suis votre ami. » Nous serrâmes
la main de ce digne homme, et lui promîmes,
si nous en trouvions l’occasion, de reconnaître ses
bons services.
Le pays entre Dima et Debra Ouerk se compose mi-
parti de prairies, mi-parti de champs cultivés : aucun
terrain n’est improductif. A moitié chemin, on
trouve plusieurs villages de zellanes ou pasteurs. La
route traverse les districts de Goba, Zaâ et Abraguite.
La ville de Debra Ouerk couvre une colline à base
arrondie, au bas de laquelle coule à l’est le ruisseau
de Zenguite, et à l’ouest celui de Feza. Elle peut
contenir environ trois mille habitants. Les maisons y
sont plus hautes que nulle autre part en Abyssinie.
Quelques semaines auparavant, un parti de Ras Ali
avait tenté de l’envahir pour la piller. Les habitants
avaient opposé une résistance opiniâtre où trente des
leurs perdirent la vie, sans compter les blessés. Ils portèrent
plainte à Ras Ali, et lui demandèrent vengeance
pour le sang répandu. Celui-ci répondit que ses troupes
ayant perdu autant de monde que les citadins, il
n’y avait pas lieu à poursuivre ; réponse qui ne démentait
pas le caractère faible et irrésolu du chef de
l’Amarah. 11 n’osait ni blâmer ses troupes, ni soutenir
leurs droits : en pareil ca s, Oubié eût fait fustiger
les agresseurs, ou punir les chefs de la ville.
Ras Ali était toujours à Eneubsié. On nous dit qu’il
devait bientôt se diriger sur Bitchana; mais il était peu
probable qu’il levât le camp tant que Beurou Gocho,
qui avait passé le N il, et se trouvait à la frontière,
n’aurait pas lui-même quitté sa position. De son côté,
ce dernier hésitait à franchir le Bachelo et à s’engager
dans le Béguémedeur, à portée de Ras Ali; car les
pluies survenant, une fois le Bachelo p le in , il serait
impossible à Beurou Gocho de le repasser, et Ras Ali,
dont les forces étaient bien supérieures , pourrait
alors acculer son ennemi et le réduire aux abois.
Nous passâmes cette journée à Debra Ouerk, et en
repartîmes le lendemain, au grand étonnement des
habitants, qui demandèrent si nous possédions des sortilèges,
pour nous hasarder comme nous le faisions.
Nous pensions, tout au contraire, que le moment
était bien choisi. La route, en effet, était assez distante
du camp dé Ras Ali pour que les maraudeurs de son
armée n’osassent s’y aventurer, dans ce pays où tant
d’embûches leur étaient tendues; et elle n’en était
pas assez éloignée pour que les chefs de partisans y