son adversaire. Dès lors le chef du Sémiène avait pu
détacher des corps d’armée dans toutes les provinces,
et lever une contribution générale, en permettant cette
fois à ses troupes de traiter le Tigré en pays conquis.
Nébrid OueldaSallassé avait été forcé, ainsi que nous
l’avons vu, de reculer devant les forces combinées des
Fit-auraris Engueda et Ouelda Guiorguis, les mêmes qui
furent si rudement châtiés par Oubié. Le chef tigréen
passa la rivière Ouéri et vint faire sa jonction avec
Balgada Aréa, qui continuait de harceler les détachements
de l’armée amaréenne, mais n’était plus en état
d’engager une action sérieuse.
Ceux des Tigréens qui opposèrent la plus grande
résistance furent les habitants du district d’Okoulé
Gouzaye, les plus vaillants hommes de ce pays. Le
dedjaz Cbéto, envoyé pour les réduire, rencontra le
baharnagache Zéa Guiorguis, qui les commandait. Le
fils d’Oubié avait sous ses ordres environ cinq mille
hommes d’infanterie et deux cents de cavalerie; les
Tigréens étaient au nombre de dix mille fantassins et
cent cinquante cavaliers : ils avaient en outre une
assez grande quantité d’armes à feu, qu’ils maniaient
avec habileté. Au bout de deux heures d’un combat
acharné, les Amaréens avaient perdu tant de monde
qu’ils commencèrent à se débander. Les gens d’Okoulé
Gouzaye, usant jusque-là de prudence, s’étaient tenus
dans les endroits peu accessibles à la cavalerie, pour
profiter de tout l’avantage que leur donnaient leurs
armes à feu; mais voyant le désordre se mettre dans
l’armée ennemie, ils sortirent tout à coup de leurs positions
pour les poursuivre. Le dedjaz Cheto faisait
alors les plus grands efforts pour arrêter les fuyards ;
il allait lui-même au-devant de ses principaux officiers,
leur criant: ci S’il faut mourir, que ce soit du moins
avec honneur; souvenez-vous que vous êtes dans un
pays où vous n’avez aucun quartier à attendre, et
qu’il n’est de salut pour personne que dans la v ic toire.
» Ces paroles ramenèrent les Amaréens au combat;
car, en réalité, ils ne voyaient la fuite possible
d’aucun côté. Ils réussirent donc à se rallier et revin-
rent a la charge. En ce moment les Tigréens avaient
perdu tout ordre de combat, et comme ils étaient bien
moins disciplinés que les soldats du dedjaz Cheto, ils
ne purent reprendre leurs rangs : d’ailïeurs, dans le
combat corps à corps et à l’arme blanche, les Amaréens
avaient une supériorité marquée. Ce fut donc au tour
des Tigréens à s’enfuir, et la cavalerie ennemie commença
à en faire un carnage , où près de trois mille
d’entre^ eux perdirent la vie. Cependant le dedjaz
Cheto n’osa pas demeurer sur le théâtre de sa victoire;
il se porta immédiatement vers le pays d’Eguela
Goura, qui, de tout temps, a été en rivalité avec celui
d’Okoulé Gouzaye. Là il avait l’assurance de trouver
des partisans, et de recevoir des renforts qui le
mettraient à même de porter un coup décisif aux provinces
révoltées. En apprenant cette nouvelle, Oubié
fut au comble de la joie ; mais il rappela tout aussitôt
son fils auprès de lu i, car il craignait que la rancune
des Tigréens ne lui tendît quelque embûche; il le remplaça
par d’autres généraux plus expérimentés, et
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