nière d’agir avec celle d’Âréa. Celui-ci affichait une
facilité de moeurs, un abandon d’étiquette vraiment
indignes de la suprématie; ce qui ne l’avait nullement
empêché de ruiner le peuple.
Vers cette époque, je f is , avec M. Yignaud, une
excursion dans le district de Monos, à la frontière
orientale du Ouodgérate. En revenant, nous fûmes
curieux d’aller faire une visite à Abba Haïlé, ce chef
dont nous avions déjà tant entendu parler. 11 nous reçut
dans sa forteresse avec la plus grande cordialité. Sans
avoir la régularité des traits de Balgada Aréa, un des
plus beaux types de physionomie que j’aie vus , sa
figure était distinguée et fine à la fois ; elle offrait
quelques-uns des caractères du bas Breton. Quand
nous arrivâmes , il y avait deux heures à peine qu’il
était revenu du camp d’Oubié; il n’était pas encore
bien remis de l’émotion qu’il avait éprouvée en se
trouvant face à face avec le prince dont il avait été
l’ennemi si acharné, et qui avait exercé sur sa famille
de si terribles représailles. « Il me sembla, nous dit-
il , pendant les quelques instants que je restai sous la
tente de cet homme impitoyable, que mes mains sentaient
le froid des chaînes. L’Amba H aye1 m’apparaissait
de loin comme un cauchemar. J’avais cependant
tort de craindre, car l’heure de la vengeance n’est
pas encore venue pour Oubié : il serait impolitique
à lui de sévir contre les premiers chefs qui se rendent
à son appel. C’est pourquoi j ’ai cru pouvoir faire
* Prison d’État.
sans aucun risque cette tentative, que je ne suis certes
pas disposé à recommencer. Je ne me dissimule pas
qu’Oubié saisira avec empressement la première occasion
favorable de se défaire de moi: elle ne se présentera
pas tant que Balgada Aréa sera debout ; mais du
jour où il tomberait dans une embuscade, je n’aurais
qu à me tenir coi dans ma. forteresse pour éviter un
sort fatal. »
Abba Haïlé nous confirma ce que nous savions
déjà du théâtre de la guerre. Les Tigréens s’étaient décidément
dispersés sans livrer bataille, et leur but était
de traîner les choses en longueur. « Si Balgada Aréa,
continua Abba Haïlé, avait agi avec plus de résolution,
et qu’il eût hardiment abordé l’armée ennemie, j’aurais
volé à son secours, e t, sans doute, nous serions
facilement venus à bout de ces gens affaiblis et mal armés;
mais dès l’instant qu’il s’est enfui, je n’ai plus
e u , pour éviter de faire dévastèr mon pays, qu’à
me soumettre. » Je ne m’expliquai pas avec Abba
Haïlé sur la manière dont j’appréciais cette confidence ;
je n avais que faire de lui ôter l’opinion qu’il concevait
de sa loyauté. Sa femme était soeur du dedjaz Gouan-
goul, et peut-être, depuis la bataille où son frère avait
été prisonnier d’Aréa, ses instigations avaient-elles
poussé son mari à agir comme il l’avait fait avec le
chef tigréen. Sachant néanmoins que j ’étais l’ami de
ce seigneur, elle s’abstint d’en parler mal devant moi ;
toutefois, au peu de paroles qu’elle en d it , je reconnus
bien vite qu’elle le haïssait de toute son âme. Elle
n’était pas mieux disposée pour Oubié ; mais elle pen