que la jalousie de tous vous garantira mieux de l'ambition
de chacun, que ne le pourront faire votre prudence
et votre armée. »— «Mais», me répondit le roi, « est-il
possible qu'une armée franchisse le désert?» Je lui fis
alors observer que le royaume de Harar et les pays
gallas qui s’étendent depuis la frontière jusqu’à l’Aoua-
cbe supérieure, offraient une route fa c ile, remplie de
pâturages et abondamment pourvue d’eau. «Le chemin
qu’a pris l’armée du Gragne, » ajoutai-je, «ne pourrait-
il pas être suivi au besoin par une armée européenne ? »
Le roi parut réfléchir quelques instants, puis il me demanda
si la France était une puissance aussi forte que
l’Angleterre, et finit par me dire : «Eh b ien , je donnerai
un traité pour la France à mon ami Rochet. » Le
lendemain ce lui-c i vint se consulter avec nous pour
arrêter les bases de ce traité ; puis il alla le porter au
roi qui n’y trouva rien à redire et ne s’occupa plus
que de le faire recopier pour y apposer sa signature :
c’était la seule chose qu’attendît M. Rochet' pour se
mettre en route; et, profitant de ce dernier délai, il se
rendit à Aliyo Amba pour y retenir les chameaux qui
devaient transporter ses bagages à la mer. Sur ces entrefaites,
nous étions nous-mêmes prêts à partir d’An-
kober, et nous reçûmes les adieux de notre compatriote
en lui faisant les nôtres. Nous allions par deux
routes différentes et toutes deux dangereuses, tendre
au même b ut; aussi ne fût-ce pas sans émotion et
sans un certain serrement de coeur que nous nous donnâmes
ce mutuel rendez-vous : la France . ^
* Nous sommes heureux d’annoncer à nos lecteurs que M. Rochet est
Nous nous rendîmes à Angolola. Le 9 mai nous fû mes
appelés chez le roi, qui pria le docteur Petit de
mettre des étiquettes aux flacons d’une pharmacie
qu’il avait reçus de M. Craft. Le lendemain le roi nous
fit encore appeler pour nous donner deux vêtements
abyssins et deux mules, et nous congédia. J’acceptai à
condition qu’il nous permettrait de lui en rendre la
valeur à notre arrivée dans le Tigré. « Non, pas d’argent,
nous dit-il, mais je recevrai volontiers un fusil. »
La chose fut convenue, et nos adieux furent on ne peut
pas plus affectueux.
depuis peu de retour, et vient achever à Paris la mission généreuse à
laquelle il a consacré un beau caractère et une si rare persévérance.