arraché leurs enfants, ici d’autres qui avaient vu
égorger leurs maris, enfin des mères tenant dans leurs
bras de faibles créatures qui n’avaient point été épargnées,
et cherchant à panser l’horrible plaie toute
sanglante de l’émasculation.
Nous sûmes aussi que des lâches, voulant à tout
prix obtenir la dépouille honorifique, avaient profité
du moment où leurs compagnons d’armes passaient
sans défiance à côté d’eux, pour les transpercer de leur
lance et les mutiler tout à l’aise, sans s’exposer aux
chances incertaines du combat.
Quel contraste que le désespoir d’une nation tout
entière, à côté de la joie sauvage d’une soldatesque effrénée.
Partout le chant de guerre se m êle aux pleurs et
aux cris; dans chaque hutte, l’orgie éteint lés plaintes
du captif et du blessé. La nuit se passe dans ce tumulte,
augmenté encore par les vociférations des soldats
restés en arrière, et qui, ralliant enfin l’armée,
appellent leurs amis pour retrouver leur campement.
Cependant, au milieu de cette tourbe qui blasphème
la Divinité , s’élève une tente qui domine toutes les
autres, et au sommet de laquelle est placée la croix.
Pendant cette nuit, où les hyènes aussi célébraient
leur triomphe, des prêtres assembles sous cette tente
adressaient des remercxments à Dieu pour la victoire
que venaient de remporter les chrétiens.
Après toutes ces abominations, il me semblait que
la nature en eût dû prendre le deuil, et que le lendemain
se lèverait désolé, semblable à la tempête qui succède
à la bataille navale, ou l’ouragan enfanté par lés
foudres des armées européennes ; mais point : le ciel
resta calme, l’air diaphane ! un soleil de plomb continua
d’éclairer cette descendance de Cham, que Dieu
semblait ainsi poursuivre jusque-là de son indifférence.
La vallée Betcho Soddo, dans laquelle nous étions
alors, commence sur la rive droite de l’Aouache ; elle
est bordée par deux chaînes parallèles de collines
basses et à sommets plats, distantes d’environ d ix -
huit milles l’une de l’autre. Celle qui nous reste au
sud est habitée par la tribu Soddo; derrière les sommets
on voit dépasser quelques pics élevés de la province
de Gouraguié ; par delà la chaîne nord, sont les
sources de l’Aouache, et la vallée est fermée à l’O. par
deux montagnes à sommets aigus. Je relevai les cours
d’eau qui arrosent cette plaine, et je pris auprès des
prisonniers gallas quelques renseignements sur leurs
sources ainsi que sur les pays environnants. J’avais, pendant
la nuit, déterminé notre position par des observations
astronomiques : au moment d’achever mon travail,
je remarquai que nous étions restés à peu près seuls au
camp de Ouatira. Depuis le matin, l’armée avait suivi
le roi sur les collines des Soddo, et j ’étais encore demeuré
avec mon ami Sertol, qui n’aimait pas plus que
moi la foule. Nous nous mîmes en route de compagnie,
nous dirigeant par la fumée des villages incendiés.
A midi, je rejoignis le roi et je marchai à ses côtés.
11 fallait bien aller jusqu’au bout quelque tristes que
fussent les tableaux qui m’étaient offerts. Néanmoins,
lorsque l’armée se dirigea sur un bois de haute futaie,
où l’on supposait que les Gallas s’étaient réfugiés, je