atteintes; e t, par un effet remarquable de cette force
qui pousse les hommes sur une mauvaise pente, les
actes particuliers de Balgada Aréa, loin de donner un
démenti à cet abandon de l’opinion publique, vinrent
en quelque sorte le justifier. Deux, entre autres, excitèrent
les plus violents murmures; c’est pourquoi
nous les rapporterons.
Agâo Derès, négociant d’Adoa, avait en dépôt une
partie des meubles et des objets de luxe qu’Oubié avait
laissés dans le Tigré; quoiqu’il eût fait un bon accueil
au nouveau chef, en lui donnant les cadeaux de bonne
v enue, celui-ci lui fit demander le dépôt, et, sur son
refus, il fit saisir ses bestiaux. L’injustice était d’autant
plus criante qu’Agâo Derès employait ses richesses
d’une manière très-noble; il tenait toujours table
ouverte et faisait des distributions quotidiennes aux
pauvres. Mais voici ce qui fit jaser encore plus.
Dans la répartition des commandements, celui de Mé-
dani Alem avait été donné à un pauvre debtera nommé
Mezguebié: quinze jours après, il fut destitué, sous de
vains prétextes, et par le fait des intrigues d’Hadjy
R.ouzk, le frère d e l’aboune, qui convoitait cette charge,
et donna, pour l’obtenir, une centaine de thalers empruntés
à l’orfévre Hadjy Joannès. C’était un acte sans
précédents chez les Abyssins, et qui, tout scandaleux
qu’il fût, n’était pas exempt de ridicule ; car cet Hadjy
Rouzk allait avoir à remplir les fonctions d’alakaet ne
savait pas un mot d’éthiopien, il ne savait même ni
lire ni écrire dans sa propre langue ; aussi son élévation
était-elle un sujet de risée pour tous, sans enexcepter
même Balgada Aréa, qui n’avait considéré, dans cette
affaire, que les cent thalers de pôt-de-vin.
Malgré le ridicule et la bassesse de son caractère,
cet Hadgy Rouzk ne laissait pas de jouer un certain rôle
à Adoua; il possédait au plus haut degré la ruse naturelle
aux Coptes, et savait tirer tout le parti possible de sa
parenté avec l’aboune ; il se faisait craindre du clergé
et des debteras, faute d’en être aimé ou estimé. D’ailleurs,
en sollicitant le poste d’alaka, il ne cherchait pas
seulement la satisfaction de sa vanité : il avait aussi en
vue les bénéfices de cet emploi, et voulait se former,
en peu de temps, un pécule suffisant pour retourner
en Égypte.
Mais il ne faut pas croire que pour avoir ainsi sacrifié
toute considération aux intérêts de son entourage,
Balgada fût plus aimé de ses soldats ni mieux servi
par ses alliés : le propre du désordre est de créer la
pénurie dans l’abondance même; bientôt Farinée ne fut
plus ni nourrie, ni payée, et elle commença à se débander.
Plusieurs chefs s’étaient déjà échappés du camp avec
leur troupe; d’autres, au lieu de faire leur jonction
selon les conventions, se tenaient à l’écart et prêtaient
l’ofeille aux agents d’Oubié : car c e lu i-c i, instruit de
l’état des choses, envoyait dans le Tigré émissaire sur
émissaire. Au nombre des plus sollicités était Abba
Haïlé, le même que nous avons vu s’allier à Balgada
Aréa, mais qui ne pouvait pas plus oublier la guerre
acharnée que celui-ci lui avait faite autrefois, de concert
avec Ato Rema, qu’il ne pouvait pardonner à Oubié
la mutilation de son frère après la bataille d’An-
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