Le mercredi 2 2 , le temps resta couvert, et le soleil
ne se montra pas. Je me rendis chez le roi dans
l ’intention de lui parler pour nos gçns restés à la frontière.
Il était allé faire une promenade à cheval. En
attendant son retour, je fus chez M. Rochet et j’y trouvai
un négociant de Harar avec lequel je causai de son
pays, et qui me donna les renseignements suivants.
La ville de Harar est bâtie de maisons en pierre et entourée
d’une muraille qui a cinq portes. Son fondateur
se nomme Emir el Nour; ses habitants vinrent
s’y établir après avoir été chassés de l’Yemen et d’A -
den par les lieutenants de Mahomet. Ce négociant me
nomma trois cours d’eau principaux qui, comme
l’Aouache, ne perdent pas leurs eaux pendant l’été et
conservent partout leur profondeur. Ces trois cours
d’eau iraient, suivant lui, se jeter à la mer après avoir
pris leur direction vers le S. 0 . Le principal se nomme
Sékaré et prend sa source chez les Itougalla; le second,
nommé Térere, sort, en bouillonnant d’un rocher, à petite
distance de la capitale; le troisième a nom Sékid-
ja. Voici également les noms des principaux pays que
l’on trouve sur la route de Tedjoura : Eïssa, Gouhissa,
Mesmané, Bermoussa, Guergouri ; et ceux de quelques
provinces Saumalis : Aberouenne, Bechirdonne, Berab-
dalla, Abergueradjisse, Bertivé, Bersouba, Guéri, Dola,
Akélo. Il y a en outre une multitude de petites peuplades.
Après avoir reçu ces renseignements, je retournai
chez le roi, qui était rentré et tenait encore un lit de
justice ; mais cette fois c’était dans une salle assez vaste,
dont le sol était décoré d’une natte en roseaux, et les
murailles garnies de fusils rangés en panoplie. J’entrai
par une porte qui communique avec l’intérieur du
palais; une autre, en fac e, donnait accès aux plaideurs;
toutefois celle-ci restait close aux réclamants
qui avaient les mains vides : il paraît que nulle part
dame justice ne se livre gratuitement. Aussi, pendant
que je faisais mon entrée par la porte d’honneur, je remarquai
que plusieurs pots de miel faisaient la leur de
l’autre côté, en compagnie de plaideurs que les huissiers
plaçaient à la queue ( c ’est le mot propre). Ceux
qui étaient en cause pou!1 le moment étaient des Gallas,
qui paraissaient former une ambassade, d’après leur
nombre et le respect qu’ils témoignaient à un chef qui
portait la parole. L’interprète, qui traduisait son discours
en langue amarah, ne suivait pas le mode ein-
ployé dans les pays européens ainsi que dans les pays
turcs et arabes, où l ’on attend que celui qui parle ait
fini une longue période pour la traduire, ou plutôt pour
en rendre le sens. Ici chaque phrase était reproduite mot
à mot. L’interprète avait d’ailleurs des juges capables
de distinguer la moindre erreur, car tous les chefs
parlent galla, et le plaidant savait l’âmarah. A cette
disposition, tout le monde trouvait son compte : le juge
faisait prédominer la langue du conquérant dans le
plaidoyer, et le plaidant ne perdait pas les avantages
de sa langue maternelle.
Je m’assis à côté du sopha sur lequel était couché le
roi, et au milieu de ses principaux chefs, groupés à
droite et à gauche pour donner leur avis dans les juge-||