marche d’Adoua; cependant, à la surprise générale, les
deux chefs de l ’escorte furent de retour le lendemain,
e t , quand ils se présentèrent à la porte de la tente de
Balgada Aréa, celui-ci se voila la face et leur fit refuser
l’entrée.
Le bruit de la mort du prisonnier circula aussitôt, et
les détails de l ’événement en suivirent de près la nouvelle.
Voici comment on les racontait.
Arrivés dans le district de Serhy, qui était le pays
d’Ato Teclai, les deux gardiens de Guébra Rafaël le
firent entrer dans une chaumière, et le séparèrent du
soldat qui avait été enchaîné avec lui. Toute la suite
s’étant retirée, les trois hommes restèrent seuls face à
face. Alors Ato Teclai prenant le premier la parole, dit :
« C’est ici, Guébra Rafaël, que tu as égorgé manière ! «
à quoi Ato Agaze se contenta d’ajouter : « ce n’est pas ici,
Guébra Rafaël, que tu as tué mon frère; mais c’est
ici que je me vengerai. » Et un quatrième personnage
entra : c’était un forgeron armé d’un fer rouge.
Le prisonnier, qui jusque-là était resté silencieu x,
se leva pour parler. D’une voix calme et assurée il fit
le récit de sa vie : il raconta tout ce qu’il avait fait pour
arrêter l’invasion des Amaréens, du tems de Cassaye;
puis, s ’animant par degré, il rapprocha dédaigneusement
les actions de ses meurtriers des siennes propres,
et leur fit sentir l’ignominie de cette dernière trahison.
(( Oui, leur dit-il, j’ai tué dans la chaleur du combat bien
des gens qui, certainement, n étaient pas dignes de la
colère de mon sabre ; mais, si j’avais un ennemi
mortel .capable de répondre à mes coups, plutôt que de
l’assassiner lâchement comme vous le faites, je préférerais
me tuer moi-même. Mais chacun a sa valeur :
c’est là la vôtre. Je finis donc de vous haïr, car je vous
méprise. »
Ato Teclai, qui supportait impatiemment ces bravades,
fit un signe : à l’instant le bourreau commença
son terrible office. Il enfonça successivement
son fer rouge dans les orbites du patient. Ato Agaze
et Ato Teclai restèrent présents pour jouir des convulsions
de sa souffrance ; mais cette supfême joie leur
manqua : pas un seul cri ne vint révéler à la curiosité
des gens du dehors l’horrible scène qui se passait dans
cette chaumière.
Après ce supplice, Guébra Rafaël respirait enco r e.
et on fut obligé de hâter son agonie par d’autres mutilations
: au bout d’une heure, il avait cessé de vivre.
Quand on apprit cette nouvelle dans le Tigré, on
ne manqua pas de blâmer Balgada Aréa, non-seulement
pour le fait de cruauté et de trahison, mais aussi pour
celui de maladresse; car il se privait ainsi du seul chef
sur lequel il pût compter, dans le cas de lutte avec Ou-
bié. Le malheur a toujours des partisans ; ce Guébra Rafaël,
si exécré pendant sa vie, fut plaint et prôné après
cette fin terrible. On rappelait ses exploits ; on citait la
ténacité avec laquelle il avait combattu les soldats amaréens,
lorsque le Tigré s’humiliait devant le vainqueur ;
plus d’une jeune fille vantait sa générosité, et, quelques
jours après, la cantinière chantait à la veillée une
complainte en son honneur.
Une circonstance vint, encore jeter un intérêt pos