marchassent avec confiance. C’était donc une ligne à
peu près neutre, tracée par la crainte réciproque des
deux ennemis. Nous nous y avançâmes hardiment,
nous dirigeant vers Keranéo, afin de traverser le Nil
au-dessous de Mota.
Nous laissâmes sur notre droite la chaîne d’Eneub-
s i é , à gauche les montagnes de Gondane-Aregueu,
Tchoké, et passâmes le ruisseau appelé Idane, la rivière
Guelguel-tché et l’Ennate-tché : ces deux dernières
forment en se réunissant la rivière Tché. Au
delà de l’Ennate-tché, nous entrâmes dans le district
de Ouofite, dont la réputation est célèbre par les
crimes qui s’y commettent. Il nous sembla, pendant
quelque temps, que nous étions suivis par une petite
troupe; elle s’approcha assez près de nous en effet,
mais elle n’osa nous attaquer, probablement intimidée
par notre nombre.
A trois heures et demie, nous traversâmes la rivière
Teguidar, et de là nous marchâmes pendant une
heure dans un bois épais. A la lisiè re, nous rencontrâmes
la rivière Azouari, que nous coupâmes plusieurs
fois dans les nombreux détours qu’elle fait au
milieu d’une plaine. Nous étions encore trop éloignés
de Kéranéo pour pouvoir espérer l’atteindre avant la
nuit, et nous nous décidâmes à camper dans les ruinés
d’une église. Ce lieu était sinistre et désolé, mais
ce fut sans doute un bonheur pour nous que de nous y
être arrêtés plutôt que dans un endroit habité, d’où la
nouvelle n’aurait pas tardé à se répandre à Mota, que
de riches Européens étaient sur le point d’arriver dans
la ville. Or, à n’en juger que parla réception qui nous
fut faite, il est indubitable que nous eussions été
pillés.
Nous quittâmes notre campement de grand matin
et atteignîmes en peu de temps Kéranéo, qui est au
nombre des villes asiles ; aussi sa population n’avait
pas émigré comme celle des villages environnants, et
la foule se rassembla pour nous voir passer sur la place
du marché.
A partir de Kéranéo nous inclinâmes à l’ouest pour
gagner Mota. A l’entrée de cette ville se trouve une
place quadrangulaire, où se tient le marché; nous allâmes,
comme à l’ordinaire, nous asseoir sous l ’arbre des
étrangers, attendant qu’on vînt nous offrir un gîte ; mais
bientôt la foule qui nous entourait nous inspira quelque
crainte pour nos bagages. Nous nous réfugiâmes
dans l’enceinte de l’é g lis e , qui est fort vaste et
sert de lieu d’asile. Nous dressâmes notre tente à côté
de celle d’un chef de douane de Ras Ali, qui se tenait
là par crainte des bandits, n’ayant pas eu d’ailleurs le
courage de courir les hasards de la guerre avec son
maître. A peine étions-nous assis qu’on vint nous prévenir
que notre arrivée était connue dans la v ille , et
qu’on nous supposait d’immenses richesses, hypothèse
qui certes n’était pas propre à nous élargir les voies.
Nous étions donc dans les transes, lorsque le douan
ie r, notre voisin, nous rendit v is ite , en compagnie
d’un des principaux habitants, qui demanda à
M. Petit quelques médicaments. Toutes les pilules
qu’il pouvait désirer lui furent données; car il était