garo me dit que ces gens étaient des soldats d’Ato
A gaze, et qu’ils nous auraient fait encore un plus
mauvais parti qu’Ato Enguéda et Ato Guebrioud, s’ils
eussent vu la chance aussi belle que ces derniers. Au
delà de la rivière Bouille, nous rencontrâmes, èncore
quelques autres partis de cavaliers, et comme nous
étions toujours sur nos gardes, ils passèrent outre après
les saluts d’usage. Nous couchâmes à Beit Mariam, village
dont j’ai déjà parlé lors de mon premier voyage à
Sessate.
Le lendemain j’arrivai à l’Amba Aladgié , où je
comptais avoir, par. Abba Haïlé, des nouvelles du docteur
Petit. Je gravis cette montagne en suivant les mille
sinuosités d’un ruisseau qui descend du sommet.. J’attendis
une heure à la première porte de la forteresse,
pendant que l’on prévenait Abba Haïlé : mais cette
porte franchie, toutes les autres me furent incontinent
ouvertes. Je trouvai le seigneur de l’endroit assis
sur un alga, auprès de sa femme; iis se levèrent
à mon entrée, et m’engagèrent à prendre place à
côté d’eux. Ils ne souffrirent pas que je parlasse
avant d’avoir mangé; mais ils profitèrent de ce moment
pour m’apprendre que M. Petit était toujours
dans l’Achangui, d’où il ne pouvait partir sans une
escorte que le dedjaz Farès lui faisait attendre. Le
Lasta était alors dans un grand désordre. Abba Haïlé
regardait comme très-dangereux le voyage que nous
allions entreprendre, et m’en détourna vivement. Il
me dit à cette occasion qu’il ne comprenait pas mes
goûts errants et ma vie nomade; je lui repartis que je
ne comprenais pas davantage les petites guerres qui
le tenaient renfermé une grande partie de sa vie dans
une cahute sur le bord d’un rocher. « Au moins, continuai
je, est-ce déjà pour moi une récompense de
mes travaux que de savoir qu’ils ne seront pas perdus,
et que mes compatriotes en recueilleront le fruit.
Jugez combien nous l’emportons sur vous : les grandes
actions de nos guerriers leur font encore plus d’honneur
après leur mort que pendant leur vie; et chacun
peut les connaître en les lisant. Chez vous, sauf quelques
hommes instruits, personne n’a dans la mémoire les
noms de ceux qui rendent service à leur pays. —• Je
tiens, répondit Abba Haïlé, à être respecté pendant
ma vie pour la satisfaction de mon amour-propre; je
tiens à me procurer ici-bas toutes les jouissances que
mon coeur désire : peu m’importe après ma mort ce
que lès hommes diront de moi. Il n’est alors qu’un
seul juge dont l’opinion ne me soit pas indifférente :
ce juge est Dieu. Quant à vous, en voyageant dans notre
pays, vous dépensez votre argent et vous vous faites
v ie u x , ce dont les femmes de votre nation ne vous
sauront aucun gré.— Mais si mes travaux ont quelque
valeur, leshommes m’en remercieront.—Peu m’importe
la reconnaissance d’un homme; la crainte est le seul
sentiment qu’il me soit agréable de lui inspirer ; mais
je recherche l’admiration des femmes, qui sont nos véritables
juges sur la terre comme Dieu l’est dans le ciel;
et pour l’obtenir, mieux vaut être bon cavalier, avoir
tué beaucoup d’en n em is, que d’être auteur des plus
beaux travaux. »