signal de retraite fut donné, et l’on marcha rapidement
pour traverser le fleuve de bonne heure, afin que les
convois pussent être de l’autre côté avant la nuit. Nous
en étions alors fort rapprochés, et à une heure, le dais
royal s’était posé sur la rive opposée, tout près du bord
de l’eau.
On venait de dresser ma tente, et j’allais y entrer,
lorsque je vis venir à moi un des deux guides qui nous
avaient conduits depuis la province Yedjou jusqu’au
Choa. Cet homme nous avait voué une grande affection,
et nous mettait assez souvent dans la confidence de ses
succès et de ses mésaventures. Arrivé près de moi, il
se mit à gambader, à brandir sa lance en prononçant
quelques paroles en mon honneur; après quoi il jeta
à mes pieds un mouchoir plein de sang, qui contenait la
preuve de son courage et de sa barbarie. On peut juger
de quelle façon j ’accueillis cet hommage, si honorable
aux yeux d’un Abyssin. Ce jeune guerrier, en mettant
ce qu’il regardait comme ses lauriers à mes pieds,
s’attendait certainement à une autre réception, et
il s’en alla tout étourdi lorsque, la voix menaçante
et l’oeil rempli de dégoût, je lui intimai l’ordre de
s’éloigner.
A neuf heures, nous prîmes par les collines du territoire
d’Adda, et, trois heures après, nous vînmes camper
dans la prairie de Sinna. Nous devions nous reposer
là pendant trois jours, pour faire reprendre quelque
vigueur aux chevaux, épuisés par des jeûnes et des
courses continuelles; le bétail enlevé à l’ennemi avait
aussi le plus grand besoin de repos.
Aussitôt que toute l’armée eut rallié, des ordres furent
donnés pour faire le recensement des prisonniers
et des bestiaux pris à l’ennemi. En attendant que
ce travail fût fait et que l’on en rendît compte au roi,
des musiciens s’étaient réunis à l’entrée de la tente
royale, et célébraient son triomphe par des chants improvisés.
Chaque chef vint aussi, accompagné de ses soldats,
faire hommage des trophées conquis. Les cavaliers adressaient
leurs allocutions en faisant caracoler leurs chevaux
; les piétons s’avancaient en répétant leurs chants
à très-haute voix, et, après que chacun à son tour eut
ainsi vanté ses exploits, la cérémonie se termina par
une danse de boucliers.
Le roi fit proclamer de ne mettre en liberté aucun
prisonnier sans son ordre; Quant au butin, les baudets,
les moutons, le grain et tous les ustensiles de guerre
ou autres furent abandonnés aux soldats ; mais les chevaux,
les mules et les bestiaux furent retenus pour Sa
Majesté.
Pendant les trois jours que nous campâmes dans la
prairie de Sinna, j’interrogeai plusieurs Gallas, et j ’en
obtins plusieurs renseignements sur les royaumes de
Cassa, Nâréa et Gouma; le lecteur les trouvera dans
la partie géographique.
L’armée quitta la plaine de Sinna le 2 avril ; le 4,
elle campa au bord du Tâfo. Le lit de cette rivière, qui
est à trente pieds au-dessous du niveau de la plaine,
s’est ouvert dans une roche de tuf trachytique, où ont
été creusées plusieurs cavernes. J’allai y visiter une