sentaient chez nous avec les marques d’un profond
respect, et, suivant l’usage, quand on veut réclamer
quelque service, ils se faisaient précéder par
un serviteur chargé d’une corbeille de pain, d’un mouton,
ou d une autre denrée. Quoique nous eussions défendu
à nos gens d’accepter ces cadeaux, le portier, qui
appartenait au martre du logis, n’avait pas le moindre
égard à cette consigne; et considérant que notre refus
de prendre lui donnait le droit d’accepter pour lui-
m em e , il ne laissait guère entrer ceux qui n’apportaient
rien. A chacun de ceux-ci, il disait: «Que venez-
vous faire ici, les mains vides, comme un homme qui
va se jeter à 1 eau? » Puis il mettait son bâton en travers
de la porte, ce qui est ici la manière la plus polie d’évincer
un solliciteur.
De tous ces malades, un petit nombre étaient en état
d être guéris; la plupart étaient incurables ou imaginaires.
Les uns avaient des insectes dans la tête; les
femmes étaient possédées du diable; puis la légion ordinaire
des aveugles, des sourds et des boiteux. Il en
vintmn qui demandait un remède contre les sortilèges
de sa femme, qu’il désirait détester sans pouvoir y parvenir.
« Lorsque nous sommes ensemble, disait-il, elle
me trouve mille défauts et plaide en séparation. Lorsque
enfin je l’ai quittée, et qu’une autre commence à me
consoler, elle revient me faire des agaceries et me force à
renvoyer celle qui a pris sa place; puis elle replaide en
séparation quelques jours après. Je me suis ruiné en
procès. Il n est pas d’homme plus malheureux que moi: »
Du plateau de. Guemza la vue s’étend à l’est sur la
contrée des Adals, et suit le cours de la rivière Bor-
kenna,qui, après être descendue au sud, à partir du col
de Cossaro, tourne à l’est en arrivant à la tribu d’Ali
Chafi, forme quelques marécages dans cette plaine qui
n’a presque aucune inclinaison, sort par un passage de
la chaîne de Réquié, traverse le pays d’Argoba, celui
des Gallas Gatché, et enfin la plaine Adal, où elle rencontre
la rivière Aouache. A l’endroit où la rivière
Borkenna saillit de la chaîne de Réquié, celle-ci projette
une arête de collines élevées, qui s’avancent vers
l’ouest, et viennent presque rejoindre le plateau de
Guemza. Il en résulte une pente qui conduit vers la
rivière la plupart des ruisseaux de cette frontière du
Choa, ce qui augmente l’humidité de la plaine à un tel
point, qu’elle ne serait pas habitable sans quelques
pâtés ressemblant à ces îles volcaniques des archipels
de la Méditerranée, et sur les sommets desquels sont
bâtis les villages de Chafa.
Quelques soldats d’Ali Chafi, qui vinrent nous voir,
nous apprirent qu’on pouvait aller de Chafa au lac
Aoussa en huit jours. L’un d’eux prétendait avoir fait
ce trajet; il parlait avec admiration des eaux du lac
dans lequel il avait lavé sa tunique, qui, disait-il, était
devenue, sans savon, d’une blancheur éclatante. On sait
déjà depuis longtemps, par le rapport des Arabes, que
ce lac est natron. Auprès de celui-ci il en est un autre
dont les bords sont salins ; on récolte là tout le sel qui
sert à la consommation du royaume. Le sel gemme,
qui est en pain, n’est employé que comme monnaie,
ce qui fait que le change du thaler est moins irrégu