qu’on eût enfin mis un terme à la discorde qu’ils avaient
excitée. Il y en avait aussi qui les considéraient plutôt
comme des agents politiques de l’Angleterre que
comme des missionnaires. Voici comment on racontait
les circonstances de leur retour en Abyssinie, et de l’expulsion
qui l ’avait presqu’immédiatement suivi. En
arrivant à Messoah, M. Esimberg dépêcha à Oubié un
serviteur pour lui offrir des présents, et lui demander
la permission de rentrer dans le Tigré, dont ils étaient
sortis quelques années auparavant, par suite de mésintelligence
avec l’un des conseillers, l’alaka Kidona
Mariam. Oubié accepta les présents, et accéda à la demande.
MM. Esimberg et Craft quittèrent donc Messoah,
et s’avancèrent vers le Tigré.
M. Schimper, sachant les mauvaises dispositions de
leur ancien ennemi, l’alaka Kidona Mariam, leur écrivit
aussitôt d’éviter la ville d’Adoua, conseil prudent
s’il en fut ; mais il fut dédaigné par M. Esimberg, qui
faisait trop grand fond sur les promesses d’Oubié et
sur l’influence de l ’aboune.
Lorsque l’alaka fut informé que les missionnaires
étaient sur le point de traverser la place du marché
d’Adoua, il fit sortir la croix et l’image de la Vierge, et,
se présentant à la tête du clergé devant M. Esimberg,
il lui demanda : « Etes-vous chrétien ?
— Nous le sommes, répondit le missionnaire.
— En ce cas, veuillez donc baiser la croix et l’image
de la Vierge. »
S’il faut en croire les Abyssins, celui-ci aurait répondu
: « La croix n’est qu’un morceau de bois et
EN ABYSSINIE. 327
la Vierge une femme ordinaire, qui ne mérite aucune
adoration. »
Cette réponse, immédiatement portée à Oubié , arriva
en même temps qu’une lettre de l’aboune Salama,
qui recommandait à sa bienveillance les missionnaires
protestants : « leurs principes sont d’accord avec les
nôtres, écrivait-il, et s’il est quelqu’un qu’on doive renvoyer,
c’est M. de Jacobis, chef de la mission catholique.
»
Cette lettre fit plus de mal que l’inimitié de l’alaka.
Oubié, en la lisa n t, entra dans une grande colère, et
s’écria : « Il est donc vrai que notre aboune n’est que
l’humble serviteur des Anglais ! me prend-il pour un
imbécile, pour me dire que leur religion est la même
que la nôtre ? » Puis, incontinent, il renvoya les présents
par un soldat chargé de reconduire les missionnaires
jusqu’à la frontière.
Au bout de deux jours, M. de Jacobis revint en compagnie
de M. Schimper, qui, depuis quelques jours,
avait abandonné le protestantisme pour se faire catholique.
J’appris alors plus en détail des nouvelles de
M. Vignaud ; je lus la lettre qu’il m’avait laissée en
quittant l’Abyssinie. La voici :
« M o n c h e r M o n s i e u r L e f e b v r e ,
« Après avoir reconnu l’impossibilité d’aller vous
«rejoindre dans le Choa, je vous ai attendu deux
« mois dans le Tigré : ce temps écoulé, ne recevant
« aucune nouvelle, je n’ai pu résister au désir de r e -