byssinie ne sont pas muettes, et pendant que chez
mon hôte elles vaquaient à leurs occupations, je les
entendis raconter des choses peu encourageantes pour
la suite de mon voyage. Les pays qu’il me fallait traverser
étaient, selon e lle s , hantés par des mangeurs
d hommes, ou tout au moins par des gens qui ne se
faisaient aucun scrupule de tuer le premier venu pour
la plus petite valeur. Elles disaient aussi qu’on avait
reçu la nouvelle de l’entrée de Ras Ali dans le Lasta, et
que toute cette contrée était désolée par la guerre. Mon
hôte, en revenant, me confirma cette dernière nouvelle.
Mais le lendemain je me réveillai sous de meilleurs
auspices ; je reçus un domestique de M. Petit accompagné
d un soldat du dedjaz Farès : mon compagnon
m’accusait réception de la lettre dans laquelle je lui
annonçais ma prochaine arrivée, et il envoyait à ma
rencontre. Cette assurance de le retrouver bientôt calma
toutes mes inquiétudes. Je restai néanmoins à Mehhane
toute cette journée pour achever le relèvement du district;
mais je me mis en route dès le lendemain, muni
d’une escorte de dix hommes pour traverser le territoire
d’Aya, réputé fort dangereux par son voisinage des Gal-
las. Nous marchâmes d’abord à l’ouest, du côté de la
chaîne du Lasta, puis, traversant la vallée de Kalese-
ranga, nous nous mîmes à longer le flanc de la montagne
d’Aya; notre chemin passait dans un terrain
boisé, souvent interrompu par des torrents. Ce territoire
est limité par une petite rivière qui va tomber
dans la plaine Azébo Galla. En cet endroit je renvoyai
mon escorte, car il nous restait peu de chemin à faire pour
arriver à la maison du chef de l’Achangui, AtoKade-
rou. Nous apercevions son village, nommé Assakalti,
sur le sommet d’une arête qui part du deuxième gradin
de la montagne de Mosobo, au pied de laquelle nous
étions arrivés. A onze heures et demie nous atteignîmes
le plateau d’Assakalti, et je m’arrêtai à petite
distance du village pour prendre la hauteur méridienne
du soleil.
Ato Kaderou nous reçut aussi bien que le chef de
Mehhane, et, chose fort extraordinaire, il nous donna
pour logement une petite mosquée qui était dans l’intérieur
de sa maison, et servait à la fois de lieu de
prière et de cimetière. J’aurais autant aimé un autre
gîte ; mais je m’en contentai faute de mieux. Au coucher
du soleil, sa femme vint, après la prière, se lar-
menter sur le tombeau d’un enfant qu’elle avait perdu
depuis huit jours. Je ne pus distinguer les paroles qu’elle
prononçait; mais toute sa physionomie exprimait une
profonde douleur.
Au moment de souper, Ato Kaderou se joignit à
nous pour prendre sa part d’hydromel et me faire
des protestations d’am itié, grâce à la recommandation
dont j’étais porteur, et qui, disait-il, n’avait jamais
manqué son effet auprès de lui. « Cependant,
ajouta-t-il, je n’ai pas trouvé une grande reconnaissance
chez ceux auxquels j’ai rendu se rv ic e , et après
les avoir bien traités, aucun ne m’a encore fait de
cadeau. 11 est vrai que je n’ai jamais eu l’occasion de
recevoir un homme de votre importance, et j’ai la certitude
que votre générosité me dédommagera de tous