tout à fait dépourvue d’arbres, ce que j’attribuai à la
violence du vent d’est qui y règne continuellement.
Nous campâmes, le soir, dans le district d Agoddi,
vis-à-vis la forteresse Amba T sion , sur une hauteur
qui nous permettait d’embrasser d’un seul coup d’oeil
une partie des pics de l ’Agamé, ceux du Tigré et du
Tembène, ainsi que les montagnes du Guéralta. Pendant
cette journée, plusieurs chefs étaient venus faire
acte d’adhérence au parti de Balgada Aréa, et le général
tigréen les avait reçus avec la plus grande courtoisie.
Le lendemain, nous nous dirigeâmes vers la ville
d’Aouzienne, la capitale du Guéralta; nous n’en étions
séparés que par la plaine d’Haramat, mais il nous
fallut six heures pour la traverser.
Nul pays, plus que celui-ci, ne serait riche et fertile,
n’était son terrain uni, qui l’expose à des dévastations
continuelles. Environné des forteresses d’Agamé, de
Guéralta et de Tembène, il est sujet aux spoliations des
seigneurs qui les possèdent. Sa population était réduite
à rien, et de tous côtés nous apercevions des
habitations en ruines, témoignage trop évident des désastres
éprouvés par ce malheureux pays. Cependant,
les succès de Balgada Aréa, et sa réputation d’équité,
avaient fait renaître un peu de confiance; quelques
émigrés ramenaient leurs troupeaux dans leurs anciennes
demeures; d’autres relevaient leurs maisons
abattues. La nouvelle de la soumission de Guébra Rafaël
ajouta encore à ces heureuses dispositions ; car ce guérillero
avait été pendant longtemps la terreur de ces
contrées.
Aouzienne était l’endroit où il devait venir rendre
hommage.à Balgada Aréa; aussi, quand nous y arrivâmes,
l’ordre fut-il donné de ne pas desseller
les chevaux et d’établir une forte garde autour du
camp.
Cette ville contient 2 , 0 0 0 habitants; elle est bâtie
dans la plaine, mais ses dernières .maisons sont
situées sur le bord d’un ravin, au fond duquel bouillonne
un ruisseau. Une église taillée dans le roc en
est la seule curiosité; les habitants l’ont en grande v é nération,
et on y conserve cette croix miraculeuse, apportée
à Atebidera pour recevoir le serment d’Aréa :
c’est encore en face de cette sainte image que les
deux chefs doivent renouveler leur alliance. Vers trois
heures de l’après-midi une grande rumeur se propage
dans le camp; tout le monde prend les armes, et les
cavaliers montent à cheval : on vient d’apercevoir
Guébra Rafaël s’avançant à la tête d’une troupe en bon
ordre, composée d’environ cinq cents hommes, dont
une cinquantaine de fusiliers.
Ce petit corps d’armée semblait une personnification
des longs jeûnes et des grandes fatigues. N’était-il pas
prodigieux, en effet, que chassé de la forteresse d’Amba
Salama, il eût pu se maintenir pendant trois mois,
sans vivres, sans points de refuge, au milieu d’habitants
dont il était l’épouvante et la désolation? Pour
subsister il lui avait fallu chaque jour attaquer un village
à l’improviste, et se retirer par des marches
forcées, avant que la clameur du peuple lui eût mis
les villages voisins sur les bras.