hôte ne le quittait même pas chez lui, et nous versait
à boire d’une main, tenant son arme de l’autre. Cette
coutume peut également tenir à l’état permanent d’hostilité
dans lequel vit la population chrétienne avec
celle des Taltals. Un Abyssin qui vient s’établir à Ficho,
y fait fortune en deux ans : mais quel autre sentiment
que l’âpre amour du lucre pourrait faire supporter un
tel séjour !
Ce n’est pas seulement d’Atebi que l’on vient au
marché de Ficho ; plusieurs villes voisines, principalement
Addigrate, capitale de l’Agamé, y envoient leurs
caravanes. Les marchands de Dessa et d’Aïkamessal y
arrivent aussi par une vallée qui coupe perpendiculairement
celle de F icho, au-dessus de la ville d’Endolote.
A une certaine époque de l’année, ces caravanes vont
chercher le sel jusqu’à l’endroit où on le récolte, et c’est
par leurs allées et venues que s’enrichit Ficho; mais,
lorsque viennent les grandes chaleurs, dans les mois de
juin, juillet, août et septembre, les habitants du plateau,
n’osant plus s’exposer aux dangers d’un pareil climat,
abandonnent l’exploitation aux Taltals, qui sont habitués
à cette haute température ; ceux-ci ne portent le
sel que jusqu’à Ficho.
En arrivant, nous vîmes des Taltals des différentes
tribus qui sont à l’ouest de la plaine de Sel ; les
principales portent les noms de Rorôme, Ararat, Bori.
Ces gens amènent au marché des chameaux qu’ils
échangent contre des thalers, du grain, des toiles de
coton : la valeur d’un chameau, à Ficho, varie de trois
à sept thalers.
Notre hôte nous entretint toute l’après-dîner de l’exploitation
du sel, qui se fait au bord du lac Alelbad. Il
nous dit que ce lac changeait souvent de forme et de
place., ce qu’il exprimait de cette manière : le lac
marche. Souvent, ajoutait-il, en se dirigeant vers un endroit,
la veille bien solide, on s’enfonce tout à coup,
et l’on disparaît dans l’abîme. Mais ce qui est plus
effrayant, c ’est le débordement des eaux. Parfois le
lac se soulève, pareil à une montagne, et retombe dans
la plaine comme un déluge : des caravanes entières sont
englouties, hommes et bêtes. Il est cependant des signes
précurseurs, dont les cavaliers seuls peuvent profiter
en fuyant de toute la rapidité de leurs chevaux : quelques
uns en ont ainsi réchappé, et c’est d’eux qu’on
tient ces terribles détails.
Le sel est disposé, dans le voisinage du lac, en couches
horizontales de deux pouces d’épaisseur, que l’on
enlève avec des leviers de bois ; on taille ensuite, avec
de petits hachots, les pains tels qu’ils doivent être vendus.
En allant un peu vers le nord, on trouve trois volcans
, au pied desquels on recueille le soufre mêlé
au sel; ces volcans font souvent entendre un bruit
sourd, auquel les Taltals donnent le nom de tambour
du diable.
Tout cela me paraissait très-curieux, et je demandai
un guide pour m’y conduire, mais il me fut répondu
que la saison était défavorable; qu’un Abyssin, et à
plus forte raison un blanc, ne pouvait y supporter la
chaleur : les Taltals eux-mêmes tombent souvent frappés
de congestion cérébrale. Malgré ces raisons, j ’in