nuit au milieu de casse-cou, où nous étions déjà
très-peu ingambes pendant le jour, nous nous contentâmes
de visiter nos armes, et de faire nos préparatifs
de défense : la maison était commise à notre
garde, et Dieu sait si nous l’eussions jamais rendue à
de pareils ennemis, édifiés comme nous l’étions sur
leurs façons d’agir avec leurs prisonniers. Mais il se
trouva que l’alerte était fausse ; notre hôte revint en
riant nous annoncer que tout ce bruit était causé
par une panthère qui avait enlevé un mouton dans le
parc, en franchissant une palissade de douze pieds.
Je comprenais bien que la palissade ne pût être un obstacle
pour la panthère, en entrant; mais je fis l’observation
que le mouton devait la gêner pour sortir ;
à quoi notre hôte me répondit qu’elle le lançait avant
de sauter, par la seule force de sa mâchoire, et le rattrapait
d un bond. Une fois tournée sur ce sujet, la
conversation prit encore plus de vivacité ; on en vint
à parler de la chasse aux bêtes fauves. Notre hôte,
qui s’appelait Ato Beurou, soutenait que tuer une panthère
n’était pas un fait d’armes : « Cela ne compte
« pas même pour un guedaye1, » disait-il, «mais parlez-
« moi de la chasse au lion ou à l’éléphant. La mort
« d’un lion compte à un guerrier pour douze dé-
« pouilles viriles, et la mort d’un éléphant pour qua-
« rante; c’est avec de pareils trophées qu’on peut se
« présenter devant la plus belle vierge de son village,
« et pousser le cri du denfata ! dans un banquet. » 11
' Tuer un homme ou le faire prisonnier est un guedaye.
1 Cri de guerre après lequel on cite ses exploits et l’on fait un défi.
finit par nous proposer de nous conduire à une chasse
au lion dans la plaine Azébo Galla, où le docteur Petit
était déjà descendu un mois auparavant. « Ne craignez
« rien des Gallas, » nous dit—il ; « ce sont de mauvais
« garnements, quand on n’est leur ami à aucun titre;
« mais lorsqu’on a des protecteurs comme j’en ai
« chez eux, on peut parcourir leur pays en toute sû -
« reté : v enez, je serai votre caution. J’ai déjà tué
« deux lions, non pas comme le font les soldats d’Ou-
« b ié , en surprenant par un coup de fusil l’animal
« assoupi, mais en le prévenant, pour ainsi dire, de la
« v o ix , en luttant corps à corps, lui avec ses griffes,
« moi avec mon sabre. »
Quelque dangereux que pût être un pareil combat
meme pour les spectateurs, nous n’hésitâmes pas à accepter,
et la partie fut fixée au lundi suivant. Nous
étions alors au jeudi : nous avions juste le temps nécessaire
pour faire venir Billo, un des amis gallas du
docteur, lui demander quelques renseignements et le
prier de nous louer pour huit jours un logement dans la
plaine.
Dès le lendemain, nous préparâmes nos armes et
quelques cadeaux pour nous acheter, moi etM. Vignaud,
un pere dans la ville de Kara : le docteur Petit avait
déjà le sien à Edda Moheny. Tous mes domestiques
étaient effrayés, non de la chasse, mais du voyage. Il
! ü n voyageur ne peut voyager en sûreté chez les Gallas s ’il n’obtient
auparavant la protection d’un homme puissant, qui se proclame son
père sur la place du marché, s ’obligeant ainsi à venger sa mort s ’il venait
à être tué.