tune, et qui, depuis quelques mois, était frappé de cécité.
La pitié dont je fus saisi en voyant d’abord le malheur
et la misère de cet Européen, céda bientôt à la répugnance
invincible que m’inspira ses façons abjectes
et cyniques. Je le fis manger et lui donnai quelque argent,
après quoi il nous quitta pour aller, nous dit-il,
acheter un vêtement, ce dont il avait effectivement
grand besoin. «Vous croyez, » me dit Ato Nagaro quand
il fut parti, « que cet homme va employer votre argent
à l’objet qu’il vous a dit : tout ce qu’il ne boira pas
de cette somme, passera aux mains d’une femme avec
laquelle il vit, et qu’il entretient du produit de sa mendicité.
—- Comment donc, répondis-je, les gens continuent
ils à lui donner des secours, sachant le mauvais
usage qu’il en fait ? — Oh ! ce n’est pas tout encore, »
ajouta Ato Nagaro; «au sortir de chaque maison qui
lui est secourable, cet homme n’a d’autre soin plus pressé
que d’en dire du mal. Moi-même, qui l’accueille bien
entre tous, je suis le moins épargné par ses propos malveillants,
Mais que voulez-vous ? cet homme est si infortuné
; être accablé d’une pareille infirmité, loin de
sa patrie, sans parents, sans amis, est un si triste
sort, que son caractère fût-il cent fois pire, nous ne
pourrions encore nous empêcher de le plaindre profondément
: or, vous ne l’ignprez pas, coeur qui compatit
conduit la main qui donne. »
L’armée de Balgada Aréa parut bientôt sur les hauteurs
de Tchéleukot; elle était encore diminuée, soit
qu’il n’eût pas voulu lui-même traverser le pays avec un
corps de troupes considérable, soit qu’une partie de se?
auxiliaires l’eût abandonné à la première nouvelle de
l’arrivée d’Oubié, qui s’avançait vers le Taccazé, faisant
mine de vouloir le traverser à Aberguellé.
Balgada Aréa entra dans Tchéleukot le 25 octobre.
Il fit incontinent proclamer sur la place du marché qu’il
allait combattre Oubié, et qu’il engageait les partisans
de la cause du Tigré à venir le rejoindre. 11 dépêcha des
messagers à tous les grands chefs. Abba Haïlé lui fit répondre
de compter sur lui, et promit de le rejoindre
dans le Sloa. Ce chef tenait absolument le même langage
aux envoyés d’Oubié.
Dans la soirée, des courriers annoncèrent que l’armée
du Semiène longeait le Taccazé, et qu’elle se préparait
à le traverser vis-à-vis d’Aberguellé. Aussitôt
l’armée tigréenne se mit en marche pour Antalô.
M. Petit arriva le 30. Nous expédiâmes des lettres à
Adoua, à MM. Schimper et Jacobis, pour avoir des
nouvelles d’outre-mer, et savoir si notre drogman An-
gelo était arrivé : déjà j ’avais envoyé deux hommes à
Messoah, pour le même objet; mais ils n’étaient pas
encore revenus. Nos finances, étant au plus bas, nous
mettaient dans l’impossibilité de faire un pas de plus,
à moins de nous créer quelque autre ressource. Cependant,
les renseignements pris par notre docteur faisaient
supposer qu’avec nos verroteries et quelques
autres objets de ce genre, conservés pour notre voyage
dans le pays galla, nous pourrions nous passer d’argent.
Sur une aussi frêle assurance, nous nous décidâmes
à pousser en avant. Je me hâtai de mettre la
dernière main au travail géographique que j ’avais en