c’est qu’alors il rêve qu’on lui a amené, pieds et poings
lié s , l’auteur de tous ses maux; il le voit, il le touche,
il goûte toute la saveur de cette ineffable vengeance ;
il ne tue pas son ennemi, car il veut imaginer un
supplice plus atroce que celui qu’il a enduré. Mais, le
malheureux! il perd un temps précieux; sa proie lui
échappe tout à coup, et il se réveille dans une fureur
de damné.
J’avais déjà vu beaucoup de mutilés pendant mon
séjour en Abyssinie; mais rien en ce genre ne me fit
autant d’impression que le spectacle de cet infortuné.
Après avoir pris congé d’Abba Haïlé, nous retournâmes
à Sessate sans nous arrêter; le docteur Petit y
arrivait presque en même temps que nous, de retour
d’une excursion qu’il était allé faire de son côté dans
la province de Dôba.
Nous avions décidé de partir le plus tôt possible
pour le Choa ; mais avant de nous mettre en route, nous
devions songer à laisser quelque part en dépôt nos
collections. Personne ne nous parut plus convenable
pour cet objet que notre ami Ato Nagaro. Il fut donc
résolu que M. Vignaud et moi nous nous rendrions
encore une fois àTchéleukot, où, pour profiter de la
circonstance, nous chercherions de toutes les manières
possibles à avoir quelques nouvelles de notre argent.
Ce voyage, qui nous forçait de traverser le
Ouodgérâte en plusieurs sen s, nous permettrait d’en
compléter la carte et de faire quelques coupes géologiques
; nous emportâmes donc avec nous la plupart de
nos instruments, excepté toutefois le baromètre, que je
laissai à M. Petit. Toute chose ayant été parfaitement
disposée, nous nous mîmes en route le 29 novembre
avec deux ou trois serviteurs seulement, à cause de la
difficulté de se pourvoir dans les circonstances du
moment.